France Culture - Revue de presse internationale par Thomas Cluzel - 05/09

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Le régime autoritaire en Azerbaïdjan aurait été le complice d’une grosse machine à blanchir des capitaux d’origine douteuse (2 milliards et demi de dollars entre 2012 et 2014) pour acheter, notamment, l’amitié de certains hauts responsables politiques européens.

Depuis plusieurs années, l’expression se murmure dans les chancelleries européennes : « Diplomatie du caviar ». Derrière ce terme exotique se cache, en réalité, une référence à la propension du régime azerbaïdjanais à se ménager, à coups de livraisons de ce mets luxueux, la bienveillance de responsables occidentaux. Or selon l'enquête publiée ce matin par 11 journaux européens, dont LE MONDE, THE GUARDIAN et LA SÜDDEUTSCHE ZEITUNG, le terme de «diplomatie du caviar» apparaît comme un doux euphémisme.

Pour preuve, les relevés de comptes en banque de quatre sociétés domiciliées au Royaume-Uni et secrètement liées aux autorités azerbaïdjanaises, dont le journal de Copenhague BERLINGSKE a eu accès. En étudiant pas moins de 16 000 transactions, passées pour un montant total de 2,5 milliards d’euros, le journal a découvert un système opaque, une véritable «lessiveuse» servant à la fois à blanchir des fonds à la provenance douteuse, à financer le train de vie des caciques du régime, mais aussi à acheter (moyennant espèces sonnantes et trébuchantes) des amitiés à l’étranger. Et c'est ainsi que parmi les bénéficiaires de ce système, trois personnalités en particulier se distinguent.

Tout d'abord, l’Allemand Eduard Lintner, l’un des responsables de tout premier plan de la CSU (le parti politique bavarois partenaire de la CDU allemande). En deux ans, 19 virements en provenance d'Azerbaïdjan lui ont été destinés, pour un montant total de 891 000 euros. Ironie de l'histoire, Lintner est surtout connu pour avoir occupé pendant plus de 10 ans des fonctions importantes au sein du Conseil de l’Europe, notamment à la direction du comité … pour les droits de l’homme.

Autre responsable politique à avoir, également, bénéficié des largesses de Bakou : l'italien Luca Volonte, lui aussi figure de premier plan de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Il a reçu un total de 1,89 million d’euros en 18 paiements.

Enfin dernière personnalité, toujours citée dans cette enquête, un ressortissant bulgare, Kalin Mitrev, qui se trouve être ni plus ni moins que le mari de la directrice générale de l’Unesco. Lui a reçu 8 virements pour un montant total de 425 000 euros.

Toutes ces transactions qui couvrent uniquement la période 2012-2014 forment, sans doute, seulement la partie émergée de l'iceberg. Mais elles témoignent, d'ores et déjà, de l'existence d'une diplomatie d'un genre un peu particulier, une véritable politique d'influence souterraine, notamment avec le Conseil de l’Europe dont l’objet est la défense … des droits de l’homme sur le continent.

Et pour cause, pour l'Azerbaïdjan (petit pays du Caucase mais immensément riche en pétrole) l’enjeu est double : Tout d'abord, faire taire les critiques, justement, sur la répression politique orchestrée par le clan du président, qui use sans modération d’arrestations arbitraires à l’encontre de ses opposants.

Et puis second objectif pour Bakou : obtenir des soutiens dans le conflit territorial du Haut-Karabakh, qui l’oppose à son voisin arménien depuis vingt-cinq ans. Et parmi ces soutiens importants on compte, notamment, Israël qui vient pourtant de geler la vente de ses «drones tueurs» à l'Azerbaïdjan.

Selon le journal MAARIV, une délégation de la compagnie israélienne «Aeronautics Defense Systems» s'est rendue cet été en Azerbaïdjan, pour faire la promotion de son dernier avion sans pilote, un «drone kamikaze» dont la particularité est d'attaquer ses cibles en s'autodétruisant. Et toujours selon le quotidien, les militaires azéris auraient demandé à cette occasion à ce que ledit avion soit testé sur le front du Haut Karabakh, contre des cibles arméniennes. Ce que les deux opérateurs israéliens du drone se sont refusé à faire, en dépit des pressions de leurs supérieurs. Finalement, l'essai a bien eu lieu, mais sans causer les dégâts escomptés, le drone ayant été piloté par des personnes sans l'expérience requise.

Dans un communiqué diffusé en Israël, l'entreprise Aeronautics a vigoureusement démenti cet épisode, rappelant qu'elle n'effectuait «jamais de démonstrations sur des cibles vivantes». Reste que le Ministère israélien de la défense a tout de même tenu à ouvrir une enquête jusqu'à décréter, il y a quelques jours, le «gel» des exportations d'Aeronautics à destination de l'Azerbaïdjan. Une décision qualifiée de «rarissime» par la presse israélienne.

Il faut dire que le soutien militaire de l’État hébreu à l’Azerbaïdjan est massif. Jérusalem contribue depuis des années à la modernisation des forces armées de Bakou. Et pour cause, puisqu'Israël aurait obtenu, en retour, une faveur précieuse : celle de pouvoir intervenir à sa guise contre son ennemi juré, l’Iran, pays voisin de l’Azerbaïdjan. Quoi qu'il en soit, la décision du Ministère israélien de la défense a été accueillie avec beaucoup de satisfaction par les Arméniens, qui depuis des années dénoncent cette intense coopération militaire entre l’État hébreu et leur ennemi de toujours à eux, l'Azerbaïdjan, qu’ils voient comme le bras armé de la Turquie.

Et la Turquie, il en est justement question dans la presse avec une curieuse histoire de retour de bâton

Régulièrement, le président Recep Tayyip Erdogan promet de nouvelles opérations punitives pour déloger de Syrie et d'Irak les Kurdes du PKK (le Parti des travailleurs du Kurdistan). Problème, l'armée turque manque aujourd'hui cruellement de pilotes de chasse. Pourquoi ? Réponse du quotidien LE TEMPS : parce qu'après le coup d'Etat manqué du 15 juillet 2016, l'armée de l'air a particulièrement souffert des purges décidées par le régime. Un quart des généraux renvoyés étaient issus de ses rangs. Et c'est ainsi que le gouvernement envisage, à présent, de réintégrer les victimes des purges qu'il avait, lui-même, orchestré.

Enfin la Turquie a décidément les faveurs de la presse, ce matin, après qu'Angela Merkel eut créé la surprise, dimanche soir, en se prononçant expressément et pour la première fois contre l’adhésion d'Ankara à l’Union Européenne. Evidemment, comme le relate DER SPIEGEL, vu de Turquie cette annonce suscite un fort mécontentement. En revanche, pour les journaux outre-Rhin il est clair que Berlin doit se montrer encore plus ferme. Il faut dire qu'une cinquantaine d'Allemands sont toujours en détention en Turquie, dont une dizaine pour des motifs politiques. Le gouvernement fédéral doit enfin agir, s'alarme en particulier DIE TAGESZEITUNG, avant d'en conclure : L'objectif de Berlin est d'avoir une politique cohérente avec … les droits de l'homme.

Par Thomas CLUZEL