Lemonde.fr - Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, bureau européen) - 21/10 - crédit photo:concilium.eu

Les dirigeants européens réunis en sommet à Bruxelles ont décidé de « réorienter » les fonds d’adhésion, et de geler l’allégement du régime des visas pour les citoyens turcs. Pas de rupture, mais un gel généralisé. Au bout de trois heures de débats, les dirigeants européens, réunis en sommet jeudi 19 et vendredi 20 octobre à Bruxelles, n’ont pas décidé d’arrêter définitivement les négociations en vue d’une adhésion de la Turquie à l’Union. Même si, selon le président du Conseil, Donald Tusk, la perspective de cet élargissement ne suscite plus qu’« un scepticisme patent et manifeste ».

Les fonds dits de « pré-adhésion » seront diminués ou coupés. Il s’agit de quelque 4,5 milliards d’euros envisagés pour la période 2014-2020 – et dont une petite partie seulement (368 millions) a été allouée jusqu’à présent. Une réévaluation de ces montants et de leur affectation est promise pour le début de 2018. S’ils sont maintenus, ils bénéficieront en tout cas davantage à la société civile et à des ONG qu’au gouvernement.

« Il faudra une réorientation, au minimum », insiste le premier ministre belge, Charles Michel, soulignant que l’adhésion était « de fait au point mort ». Le Néerlandais Mark Rutte appuie : « La Turquie est très éloignée d’une adhésion et cela restera ainsi. » Le dirigeant libéral estime que « l’argent doit s’éloigner du gouvernement ».

« Mauvaise direction »

Aucune « conclusion » – ou décision – n’était au menu des discussions réclamées par la chancelière allemande, Angela Merkel. Celle-ci avait évoqué, durant la récente campagne électorale qu’elle a menée pour les législatives, la nécessité d’arrêter définitivement des négociations d’adhésion commencées en 2005. « L’évolution de l’Etat de droit en Turquie va dans une mauvaise direction et nous avons de très gros soucis (…), et pas seulement parce que beaucoup d’Allemands ont été arrêtés », a souligné la chancelière.

Propos relayés par d’autres dirigeants, peu enclins cependant à rompre tous les ponts avec Ankara, une option que, désormais, Mme Merkel elle-même écarte. Seule l’Autriche et son futur chancelier, Sebastian Kurz, campent sur cette ligne. Les autres capitales s’en tiennent à l’idée d’une « redéfinition », nécessaire après la vague de répression qui a suivi la tentative de coup d’Etat du 15 juillet 2016.

Le régime de Recep Tayyip Erdogan demande aussi, en vain, la révision de l’accord d’union douanière. Elle lui avait été promise par la Commission, qui y voyait un intérêt économique immédiat – l’UE reste le premier partenaire commercial de la Turquie. L’allégement du régime des visas pour les citoyens turcs désireux de se rendre dans l’Union sera également « gelé ».

Une large majorité de dirigeants refuse toutefois d’aller au-delà des condamnations et de la menace de mesures de rétorsion. « Ce n’est pas à nous de couper les ponts. Des villes et des citoyens turcs s’opposent à la pensée unique de M. Erdogan, commente l’un d’eux. De toute manière, la procédure pour décréter l’arrêt complet du processus prévoit que neuf États doivent demander un avis à la Commission, avant un vote à l’unanimité. Ces conditions ne sont pas réunies. »

Les Vingt-Huit considèrent surtout que les critiques contre le régime turc doivent s’arrêter si elles menacent vraiment la relation avec un partenaire qui reste essentiel pour la gestion des flux migratoires, la lutte contre le terrorisme islamiste et le maintien d’un relatif équilibre régional sur le flanc sud de l’Europe et de l’OTAN.