LaLibre.be - Christophe Lamfalussy - 24 décembre 2015

Près de 600 000 Syriens et Irakiens ont traversé la Méditerranée. D’autres restent, dont des chrétiens qui vivent leur cinquième Noël de guerre. 

Reportage : Christophe Lamfalussy (textes) et Olivier Papegnies (photos), envoyés spéciaux en Irak et en Syrie.

"Hier mon fils m’a demandé si j’allais acheter de nouveaux vêtements. Comment les acheter ?", sourit Mayada. A ces mots, Ramy, son fils de 12 ans s’efface discrètement de la pièce qui résume l’errance de cette famille chrétienne originaire de Mossoul, en Irak. Dans cette ancienne salle de classe, on aperçoit quelques tabourets en plastique, des couvertures empilées, un vieux frigo et, au mur, des images du Christ et de la dernière Cène.

Le Père Noël ne viendra pas - ou si peu - pour les chrétiens d’Irak et de Syrie. Déplacés dans leur pays, séparés par l’exil, certains inquiets du sort réservé à leurs proches enlevés par Daech, d’autres en deuil en raison d’un fils mort au combat, ces chrétiens vivent, comme les autres communautés, leur cinquième hiver de guerre et de privations.

Certes Al-Koch, une bourgade à majorité chrétienne située à une trentaine de kilomètres du front, revit maintenant que les peshmergas ont repris en aval d’autres villages à l’Etat islamique. La population est revenue, les magasins renaissent, les écoles fonctionnent. Mais une douzaine de familles restent en rade. Leurs maisons sont toujours sous contrôle de Daech.

Un lent processus

C’est le cas de Mayada. "Tout a commencé vers 2003-4", dit-elle. "Mon mari travaillait comme concierge à l’église de Mossoul. Tous les jours, des gens nous harcelaient pour nous demander ce que nous faisions là. La rue était pleine de chrétiens, mais il y avait aussi des musulmans extrémistes. Ce sont des voisins musulmans qui les ont dénoncés."

Harcelée, la famille se réfugie pendant trois mois dans le village voisin et assyrien de Telkief, revient à Mossoul lorsqu’en 2008, un message est déposé dans la boîte aux lettres menaçant d’égorger la famille si elle sortait de la maison. "J’avais peur. Je ne sortais plus de chez moi. Nous avons vendu un peu d’or et acheté une maison à Telkief", dit-elle.

L’assaut de Daech, l’été 2014, les a remis sur les routes, elle, son mari et leurs quatre enfants. Le frère de Mayada, âgé de 59 ans, est lui resté dans la zone contrôlée par Daech et fait partie d’un groupe de 47 chrétiens de la région qui a été apparemment séquestré. Mais la famille est sans nouvelles de lui depuis octobre 2014.

A Hassakeh, "chaque famille a son martyr"

A 250 km de là, en Syrie, dans la ville de Hassakeh, une autre mère s’apprête à vivre un nouveau Noël de guerre. "Les quatre premières années, on a mis le sapin et les décorations. Mais cette fois-ci, après une année aussi sanglante, ce sera plus dur. Chaque famille a son martyr", raconte Ilham Massaoudi. Elle a découvert sur Internet que son fils Marios, 16 ans, avait été tué dans les combats en février. Son aîné Sharbil, 24 ans, vit depuis un an et demi en Belgique, en exil.

Hassakeh a été libérée par les forces kurdes il y a quatre mois, mais la ville est exsangue. Il ne reste plus que 150 000 habitants sur les 420 000 qui y vivaient autrefois. Les chrétiens, qui étaient 50 000, ne sont plus que cinq mille. Et de nombreuses familles se rongent sur le sort des otages.

Car Daech a kidnappé 215 villageois assyriens, dont 58 femmes et enfants de moins de 11 ans, et ne les délivre que contre argent comptant. Il en reste 132. "Ils ont gardé les otages à l’écart de Raqqa dans un bâtiment à Al-Tabqah qui abrite l’un des plus hauts dirigeants de Daech", assure l’avocat des familles. "Ils sont devenus des boucliers humains."

Via des intermédiaires arabes, qui prennent leur commission, Me Bahi a négocié la libération de plusieurs dizaines d’entre eux pour la somme astronomique de 5,3 millions de dollars. "C’est difficile de négocier avec Daech. Ils changent d’avis souvent", dit-il.

Partir ou rester

Dirik a perdu 70 % de sa population à cause de la guerre. Daech n’a pas occupé cette ville frontalière de l’Irak et de la Turquie. Beaucoup sont partis pour trouver un avenir meilleur.

Au grand dam des évêques locaux, de nombreux fidèles ont fui à l’étranger. Mais certains restent. "Le dernier fléau qui nous frappe aujourd’hui, c’est celui de l’exode […] On cherche à nous expatrier, nous luttons pour rester", dit l’archevêque métropolite d’Alep, Jean-Clément Jeanbart.

A Dirik, une petite ville du nord-est de la Syrie, à 170 km d’Hassakeh, Aziziyeh, mère de quatre enfants, jure qu’elle ne quittera jamais cette région qui fut le berceau de l’Assyrie. "C’est ma terre, ce sont mes racines", dit-elle. "Ils sont fous ceux qui partent. Je préfère être enterrée ici que de mourir dans la Méditerranée."

Aziziyeh est originaire d’Hassakeh. Elle préfère la tranquillité de Dirik, cette bourgade où se mêlent Kurdes, Arabes et chrétiens. Dans les quartiers de sa ville natale, des barrages sont érigés chaque nuit aux carrefours pour déjouer d’éventuelles attaques. A Dirik, les relations de voisinage sont solides.

"Mes voisins arabes m’ont proposé d’acheter ma maison d’Hassakeh", dit-elle. "Je préfère la vendre aux Kurdes plutôt qu’à eux. Ils m’ont proposé 80 000 livres syriennes. Des cacahuètes !"

Dans leur majorité, les chrétiens estiment qu’ils peuvent vivre avec les musulmans. "J’ai des amis musulmans", dit une fidèle. "Eux aussi disent que Daech a détruit leur vie". L’évêque de Hassakeh, Mgr Hindo, abonde dans ce sens. Pour lui, "Daech ne persécute pas que les chrétiens. Il persécute tout ce qui n’est pas Daech." Lui et bien d’autres chrétiens reprochent aussi à l’Allemagne d’avoir ouvert grandes ses portes à l’immigration, privant ainsi la Syrie d’une partie de sa jeunesse et des étudiants formés dans les meilleures universités du pays.

Beaucoup sont partis "pour avoir une nationalité", nous assure un habitant de Dirik, "mais moi, je ne veux pas être un réfugié". Septante pour cent de la population a quitté la ville, malgré le fait qu’elle n’a jamais été occupée par Daech.

Le Comité de soutien aux chrétiens d’Orient (CSCO), fondé en Belgique par le docteur nivellois Simon Najm, a distribué aux enfants 120 paquets : des cartables et un ballon de football pour les garçons, des sacs à dos et une poupée pour les filles. Il n’y avait malheureusement pas assez de cadeaux pour tous les enfants.

Un appel pour les chrétiens d’Orient

En 2014, six mois avant l’invasion de Mossoul par Daech, le docteur libano-belge Simon Najm a eu une intuition. Ce qui se passait en Irak et en Syrie avec l’Etat islamique allait avoir des conséquences désastreuses pour la minorité chrétienne de ces deux pays. Ainsi est né en Belgique le Comité de soutien aux chrétiens d’Orient (CSCO), une coupole rarissime dans leur histoire.

Rassembler les chrétiens d’Orient n’est pas une mince affaire tant les désaccords sont grands depuis le schisme de l’église d’Orient à partir de 451 après J.-C. Celle-ci s’est divisée entre maronites, chaldéens, syriaques, arméniens, sans compter sur les affiliations orthodoxe ou catholique des uns ou des autres. Mais la menace incarnée par Daech a serré les rangs et, en Belgique, le CSCO est aux avant-postes pour aider les frères d’Orient.

Le CSCO a pris en charge, il y a un an, l’envoi à Erbil d’un C130 de l’armée belge rempli de vivres pour les réfugiés. Il vient aussi de distribuer des cadeaux de Noël à des enfants réfugiés à Dirik et à Qamishli (Syrie) et à Erbil (Irak). "Ce sont des enfants qui souffrent, qui ne vivent plus leur enfance normalement", dit-il. "A la veille de Noël, c’est important de venir avec un petit plus, surtout dans cette région frontalière de l’Etat islamique."

L’organisation belge a réuni 120 000 euros notamment grâce à l’organisation d’un concert à la basilique de Koekelberg en octobre. Les évêques de Belgique ont promis de transférer au CSCO 10 % de la collecte de la messe de Noël, contre 45 % à Caritas et 45 % à l’Aide à l’Eglise en Détresse.

Avec cet argent, le CSCO compte financer le salaire d’un médecin (1 600 dollars par mois) d’un dispensaire à Al-Koch en Irak et aider un dispensaire à Qamishli et une école maternelle à Hassakeh en Syrie.

"Le but", précise le chirurgien nivellois, "c’est la pérennité. On n’a pas envie d’aider un an et puis d’arrêter. Ce sont des localités au front avec des familles de déplacés, un peu oubliées par les organisations humanitaires."

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