Par Paolo Dall’Oglio, Prêtre

En Syrie, les chrétiens représentent 10% de la population. Pris en tenaille entre le régime de Bachar al-Assad et l’opposition majoritairement sunnite, ils subissent des attaques anti-chrétiens. Une situation intenable dont s'alarme Paolo Dall’Oglio, prêtre jésuite italien, refondateur dans les années 1980 du monastère catholique syriaque de Mar Mûsa, au nord de Damas.

On me demande pourquoi les chrétiens devraient rester en Syrie. La question est plutôt celle-ci : restera-t-il encore des chrétiens en Syrie ?

Ni du côté des alaouites, ni complètement dans la révolution

Eux qui sont ici des autochtones, qui ont participé à la création d’une civilisation étonnante et fertile. Ils ont su vivre avec les juifs aussi au sein d’un État musulman. Ils ont été des partenaires actifs et enthousiastes. Le bon voisinage entre fils d'Abraham (le grand patriarche biblique père des juifs, des chrétiens et des musulmans) a une portée théologique et sociologique.

Puis, par étapes, la chrétienté syrienne s'est restreinte et appauvrie. Et la crise actuelle risque d'en laisser seulement quelques vestiges ayant valeur de reliques.

En général, les chrétiens n'ont pas pu se lancer massivement dans la révolution comme leurs concitoyens sunnites. Ils n’ont pas tous voulu non plus, Dieu merci, se ranger de manière compacte avec les alaouites du côté du régime et de sa répression horrible. Ceux qui avaient déjà de la famille à l'étranger ont pris la voie de l'exil. Les plus pauvres restent et encourent les mêmes risques que les autres.

Mais l'infiltration et la pénétration de groupes extrémistes sunnites radicaux clandestins (les mêmes que le régime des Assad avait envoyés en Iraq après 2003) dans les rangs de la révolution a donné lieu à des attentats explicitement antichrétiens, comme en Irak, semant une terreur que les bonnes déclarations et les grands principes de la révolution ne peuvent contraster efficacement.

Les chrétiens pourront-ils rester ?

La question devient : les chrétiens pourront-ils rester ? Cela dépend directement de la capacité de la révolution à assurer la sécurité de tous. Subir ensemble les bombardements, oui, mais les assassinats prémédités de chrétiens font peur, alors ils partent. Chez les kurdes du nord-est, où les quelques chrétiens qui demeurent sont en sécurité et forment un premier reliquaire, comme en Irak. À l’ouest, d'une façon ou d'une autre, les chrétiens de la côte partageront le destin des alaouites (le clan des Assad).

Mais si les massacres subis par les sunnites de l'ouest continuent de la sorte, les chrétiens risquent à la fin d’être mis dans le même panier que les partisans alaouites du régime, et donc de subir des vengeances. Le reste de la Syrie est dans la tourmente. Damas et Alep attendent de tomber. L'angoisse et l'espérance se mêlent.

Si les Amis de la Syrie interviennent rapidement, et si les démocrates – en majorité musulmans sunnites – reçoivent l’aide nécessaire, alors il se peut que des chrétiens décident de rester pour rebâtir la patrie dans une liberté partagée. Tout retard et tout manque de discernement, en revanche, conduira à l'extinction d'une communauté fondée il y a deux mille ans par les Apôtres de Jésus.

Le Nouvel Observateur

Collectif VAN