par Harut Sassounian
Plus tôt cette année, j’ai écrit un article décrivant les tactiques  d’intimidation du gouvernement turc pour réclamer des objets antiques se  trouvant dans des musées européens et américains. Il est ironique que  la Turquie, l’un des plus grands pilleurs et maraudeurs de l’héritage  culturel d’autres nations, exige de façon aussi agressive la restitution  de ces antiquités. 
 
Mais au cas où ces menaces échoueraient, la Turquie s’est lancée le  mois dernier dans une nouvelle démarche – la corruption ! Le ministre  turc de l’Éducation, Nabi Avci, a annoncé le 10 novembre : « La Turquie a  doublé sa contribution à l’Organisation des Nations unies pour  l’éducation, la science et la culture (UNESCO) dans le contexte de crise  financière qu’elle traverse, les États-Unis et Israël ne payant pas  leur cotisation. » 
 
Le ministre Avci n’a même pas essayé de cacher la vraie raison de la  générosité de la Turquie. Il avait fait savoir que « des progrès  significatifs ont été réalisés pour l’élection de la Turquie au Comité  du patrimoine mondial de l’UNESCO le 19 novembre. » Et de fait, la  prédiction du ministre turc s’est concrétisée, car le pays a été élu  pour quatre ans. Il fait désormais partie des 21 membres du Comité du  patrimoine mondial. 
 
Le ministère turc des Affaires étrangères a immédiatement annoncé  qu’en tant que membre de ce Comité, « la Turquie souhaite partager, sur  la scène internationale, son expérience et sa connaissance acquises avec  la gestion et la protection de son propre patrimoine culturel, 11 biens  inscrits sur la liste du patrimoine mondial culturel, représentant  différents niveaux de la civilisation anatolienne, comprenant les  périodes néolithique, hellénistique, romaine, byzantine, seldjoukide et  ottomane. » 
 
Élire la Turquie dans une institution censée préserver des biens  culturels revient à introduire le loup dans la bergerie. La Turquie ne  devrait pas être qualifiée à siéger au Comité de l’UNESCO, ou à toute  autre agence de l’ONU, en raison de son long bilan de graves violations  des droits de l’homme et de la menace hégémonique qu’elle représente  pour la paix et la sécurité des États voisins. 
 
Sans surprise, l’annonce du ministère des Affaires étrangères ne  fait nullement mention des nombreux monuments culturels et religieux  arméniens situés dans la Turquie d’aujourd’hui. Ce n’est que ces  dernières années, dans le but de faciliter sa candidature à l’Union  Européenne et pour générer des revenus touristiques, que le gouvernement  turc a rénové une poignée d’églises grecques et arméniennes, après des  décennies de négligence, de profanations et de destructions  systématiques. 
Mais aujourd’hui, étant donné que la Turquie est injustement devenue  un membre du Comité du patrimoine mondial, le représentant de l’Arménie  à l’UNESCO a l’occasion, lors de chaque session de ces quatre années à  venir, de souligner toute l’ironie de la situation de la Turquie –  chargée de préserver des monuments culturels, tout en restant l’un des  plus grands confiscateurs de l’héritage culturel d’autres nations. 
 
Murat Suslu, le directeur général des musées et de l’héritage  culturel de la Turquie, a déclaré sans sourciller au New York Times : «  Nous voulons simplement que l’on nous rende ce qui nous appartient de  droit… Si vous venez chez moi et que vous volez des objets précieux, ne  suis-je pas en droit de les réclamer ? » Il faudrait rappeler à M.  Suslu, qui a insisté sur le fait que le pillage et le vol sont de  mauvais actes quelle que soit l’époque à laquelle ils ont été commis,  que la Turquie pourra se permettre de faire ce genre de réclamations  lorsqu’elle aura restitué ce qui appartient de droit aux Alévis, aux  Arabes, aux Arméniens, aux Assyriens, aux Chypriotes, aux Grecs et aux  Kurdes ! 
 
La déclaration d’Ertugrul Gunay, le ministre turc de la Culture au  magazine The Economist est tout autant ironique : « Je pense sincèrement  que toute antiquité se trouvant n’importe où dans le monde doit  éventuellement revenir dans son pays d’origine. Quand bien même ces  objets seraient en pierre, les animaux, les plantes et les monuments ont  une âme à l’instar des hommes.  S’emparer d’un monument déstabilise le  monde et est un acte irrespectueux envers l’histoire. » 
 
Au lieu de présenter la Turquie comme un pays victime de pillage,  les responsables turcs devraient admettre qu’ils sont en possession de  nombreuses antiquités confisquées par leurs prédécesseurs ottomans,  lorsqu’ils occupaient plus d’une dizaine de pays voisins. Par exemple,  le sarcophage d’Alexandre le Grand découvert près de Sidon au Liban en  1887, a été expédié au Musée archéologique d’Istanbul, sur les ordres du  sultan Abdul Hamid II, où il se trouve encore et est considéré comme  l’un des plus précieux trésors culturels de Turquie ! De même, l’Arabie  Saoudite est en droit de réclamer une pléthore de reliques sacrées  islamiques prises à La Mecque par les autorités ottomanes au 19e siècle. 
 
La Turquie étant désormais membre du Comité du patrimoine mondial de  l’UNESCO, cela fournit une occasion unique aux Arméniens et à toutes  les nations dépossédées, d’attirer l’attention du monde sur la  confiscation illégale de leur héritage culturel, effectuée par le  gouvernement turc, et d’exiger le retour immédiat de leurs biens.
Harut Sassounian 
The California Courier 
Éditorial du 12 décembre 2013
©Traduction de l’anglais C.Gardon pour le Collectif VAN – 12 décembre 2013 – www.collectifvan.org
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