La diaspora arménienne est un observatoire unique sur la marche du monde. Dans les années 1950, les Arméniens pouvaient imaginer avoir trouvé enfin un havre de paix au Moyen Orient, région alors en plein développement. Puis il y eut Nasser, la guerre au Liban, la révolution en Iran et bien d’autres soulèvements et la plupart des Arméniens de la région sont partis. Fort heureusement, l’Union soviétique comme l’Occident offraient aux Arméniens la sécurité et l’espoir qu’ils n’avaient pas trouvé en Orient. Puis l’URSS s’effondra, et avec elle son économie. Il y eut les pogroms en Azerbaïdjan, puis la guerre … Aujourd’hui, c’est l’Ukraine qui est prise d’assaut. Il vit dans ce pays environ 500 000 arméniens, soit autant qu’en France, et nombre d’entre eux ont déjà pris le chemin de l’exil.

La dispersion de la diaspora arménienne nous rend plus sensibles aux soubresauts du monde et à ses contradictions. Faut-il soutenir nos compatriotes d’Ukraine, soumis aux bombardements, à l’invasion et à l’exode ? Ou sympathiser avec ceux qui, de Russie, s’irritent du siège de leur pays par les Etats de l’OTAN? Faut-il exprimer notre colère devant l’hypocrisie de l’Europe, qui s’indigne en 2022 d’une offensive russe alors qu’elle se taisait en 2020 devant une offensive turque et azérie bien plus sauvage? Ou fait-il se réjouir que l’Europe réagisse enfin?

Etre arménien, c’est avoir des amis ou de la famille en Ukraine comme en Russie, en Iran comme en Amérique, en Israël comme en Syrie. C’est se souvenir que l’Ukraine soutenait l’Azerbaïdjan pendant que ce pays massacrait la population du Haut-Karabakh, et sympathiser malgré tout avec son peuple. C’est savoir aussi que tel pays, qui se croit à l’abri et s’abstient de dénoncer les crimes commis par ses alliés, sera peut-être demain à son tour victime du chaos qu’il a contribué à semer.

La diaspora arménienne, vieille de 1500 ans, est l’expression humaine des aléas de l’histoire. Elle a su, maintes fois, se trouver de nouvelles patries, prospères et pacifiques. Pour s’y installer, elle a conçu des institutions portables, transférables et adaptables d’un foyer à l’autre. C’est ainsi que l’église arménienne porte en elle la mémoire d’une histoire qui s’est déroulée hors d’Arménie autant qu’à l’intérieur de ses frontières. La communauté des Arméniens de Belgique est, elle aussi, le fruit de cette histoire : cette institution fut, à l’origine, inspirée de l’assemblée du Patriarcat arménien de Constantinople, lui-même constitué pour représenter le peuple arménien au sein de l’Empire ottoman. Ce n’est donc pas un Etat puissant qui a permis aux Arméniens de traverser le dernier millénaire : ce sont leurs institutions diasporiques, fruit à la fois d’une tradition ancienne et d’innovations permanentes. Aujourd’hui encore, notre communauté a la tâche de se réinventer dans un contexte nouveau. Elle participe d’une chaîne dans laquelle chaque génération représente un chainon.

C’est pour cela que la participation de chacun aux élections communautaires du 5 juin 2022 est importante. Ces élections ne sont pas un concours de beauté, elles ne sont pas réservées à une quelconque aristocratie communautaire et sont moins encore l’occasion d’imposer la domination d’une idéologie ou d’intérêts sectaires ou partisans. Il s’agira au contraire d’élire ceux qui sauront réinventer ensemble et rendre utiles les institutions diasporiques arméniennes propres à la Belgique. Ces femmes et ces hommes permettront ainsi la poursuite de l’aventure millénaire de la diaspora arménienne. Sans elle, l’Europe et le monde perdraient un peu de leur âme, et la nation arménienne serait amputée d’un organe vital.

Nicolas Tavitian, Président du Comité des Arméniens de Belgique