La dernière livraison des câbles diplomatiques révélés par WikiLeaks nous apprend qu'il n'aura même pas fallu deux mois à Nicolas Sarkozy pour trahir ses engagements envers la communauté arménienne de France à propos de la loi incriminant le négationnisme du génocide arménien. Le 24 avril 2007, le candidat de l'UMP promettait d'appuyer la ratification par le Sénat de ce texte déjà voté par l'Assemblée nationale.

Or selon un télégramme rendu public par WikiLeaks, Jean-David Levitte (conseiller diplomatique de l'Elysée), en visite à Ankara le 29 mai 2007, a confié à ses interlocuteurs que "Sarkozy s'assurera que le projet de loi du génocide arménien (pénalisant le négationnisme) meure au Sénat français." On comprend mieux l'arrogance de ce négationnisme, qui se développe notamment sur la Toile française à travers des sites sponsorisés par le gouvernement d'Ankara. Ainsi ce fléau, qui fait office de volet politique du génocide, qui constitue sa continuation par d'autres moyens, ne sera non seulement pas combattu par les responsables de l'ordre public, mais il bénéficiera de la neutralité bienveillante du chef de l'Etat.

Que peuvent bien valoir les belles paroles prononcées à l'endroit de la communauté arménienne de France, mais également toute la rhétorique de Nicolas Sarkozy sur l'histoire, et les leçons qu'il convient d'en tirer ? Etait-il nécessaire de gratifier Ankara de ce type de signal, au moment même où à l'intérieur du pays, enfin, un mouvement d'intellectuels turcs se dessine pour demander pardon aux Arméniens ? Il ne faudra pas s'étonner ensuite qu'éclairées par de tels exemples les autorités turques fassent des sourires à l'Occident tout en signant, comme elles l'ont fait, en mai, des accords pour la livraison d'uranium à l'Iran. Qu'elles combattent le blocus de Gaza tout en pérennisant, depuis seize ans, celui sur l'Arménie. Qu'elles exigent des excuses d'Israël pour les neuf morts turcs de la flottille, en juin, sans jamais avoir prononcé un mot de regret pour le million et demi d'Arméniens exterminés, en 1915, et en outrageant tous les jours leur mémoire.

Un malheur n'arrivant jamais seul, cette information de WikiLeaks vient une semaine après une autre dépêche diplomatique rendue publique par le même site, selon laquelle M. Roland Galharague, haut fonctionnaire au Quai d'Orsay, explique à William Burns, secrétaire américain à la défense, que l'existence d'une forte communauté arménienne, en France, entraverait les propositions susceptibles d'apporter la paix au Haut-Karabakh, une enclave arménienne indépendantiste en butte à l'hostilité et aux menaces de guerre du couple turco-azerbaïdjanais.

La question se pose donc de savoir quelles sont ces belles propositions de paix du Quai d'Orsay qui pourraient bien contrarier à ce point les Français d'origine arménienne. Tout semble hélas indiquer que la tradition qu'on croyait révolue du lâchage des Arméniens au profit des intérêts du panturquisme est en train de reprendre ses droits dans la République. Nous ne ferons pas ici le compte de victimes qu'une telle attitude a déjà provoquées. Mais comment ne pas s'indigner que ce type de pratique soit toujours en vigueur après tant de malheurs accumulés ?

Ara Toranian, directeur de "Nouvelles d'Arménie Magazine"

Article paru dans l'édition du 29.12.10

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