par Varoujan Sirapian

 

J’avais presque dix ans quand ce qu’on appelle pudiquement « les événements du 6-7 septembre », en réalité un pogrom, a eu lieu à Istanbul.

Pendant 9 heures des hordes sauvages, des paysans, des ouvriers, emmenés par cars entiers des villages lointains situés autour d’Istanbul, tous équipés de bâtons identiques qu’on aurait dit sortis d’usine, ont sillonné les rues d’Istanbul. Ils étaient encadrés par des étudiants ultranationalistes, fervents militants de kémalisme. Les forces de l’ordre sont restées passives, voir complices, comme le montrent certaines photographies.

Tout avait commencé par un mensonge publié dans « Istanbul Ekspres » : « une bombe a été jetée à la maison de Atatürk ». En fait il s’agissait d’un engin artisanal lancé par un agent des services secrets turc qui a causé très peu de dégât à la maison de Thessalonique où avait habité Mustafa Kemal dans sa jeunesse. Le rédacteur en chef adjoint qui a pris cette décision de tirage supplémentaire était Göksin Sipahioglu.

Les manifestations « spontanées » ont rapidement pris l’allure d’un pogrom, « une nuit de cristal » version turque. 16 citoyens d’origine grecque, dont 2 prêtres et un Arménien ont été tués. 32 citoyens d’origine grecque ont été blessés grièvement. 4348 magasins appartenant à des citoyens d’origines grecque, arménienne et aussi juive, ont été saccagés et pillés. 110 hôtels, 27 pharmacies, 23 écoles, 21 usines, 70 églises, 3 cimetières et de très nombreuses maisons appartenant aux minorités non musulmanes ont été gravement endommagés. Les viols, nombreux, n’ont pas pu être officiellement enregistrés, les familles ne voulant pas ajouter la honte à l’outrage. Mais petit à petit, les bouches se sont ouvertes et nous avons appris que la femme d’un bijoutier juif très connu était parmi les victimes.

Il y avait une boulangerie dans mon quartier à Sisli, tenue par un albanais. Le boulanger, un brave type, offrait tous les après-midis quelques çörek (brioche) aux policiers du commissariat qui se trouvait juste en face de sa boutique. Dans la soirée du 6 septembre, les hordes sauvages l’ayant pris pour un Grec ont commencé à casser sa vitrine. Il est allé se plaindre au commissaire. La réponse de l’officier fut : « Désolé je ne peux rien faire. Aujourd’hui je ne suis pas un policier, je suis un Turc » !

Beaucoup de citoyens appartenant aux minorités ayant subi ces agressions ont préféré quitter la Turquie dans les mois et années qui ont suivi.

Les enquêtes ultérieures ont démontré l’implication de l’agent des services turc dans « l’attentat » contre la maison d’Atatürk. Mais au lieu d’être inculpé, il a obtenu une promotion comme remerciement. Quant à Sipahioglu dont le journal avait mis le feu aux poudres, il s’est installé, quelque temps après, à Paris et a ouvert (avec quel argent ?) l’agence de presse SIPA. Il a même reçu vers la fin de sa vie la Légion d’honneur de la part du président Chirac. (http://www.armenews.com/article.php3?id_article=92888)

 

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