Le nouveau procès de l'assassinat du journaliste turc d'origine arménienne Hrant Dink s'est ouvert mardi matin devant un tribunal d'Istanbul au milieu des appels des avocats et proches de la victime à juger les "véritables" meurtriers.

Le 19 janvier 2007, Hrant Dink était abattu de deux balles dans la tête à Istanbul devant les locaux d'Agos, l'hebdomadaire bilingue turc-arménien qu'il dirigeait, par un jeune nationaliste âgé de 17 ans, un crime qui a bouleversé la Turquie.

L'assassin, Ogün Samast, mineur au moment des faits, a avoué le crime et a été condamné en juillet 2011 à 23 ans de prison.

Six mois plus tard, les juges de la 14e chambre criminelle d'Istanbul ont condamné l'instigateur supposé de l'assassinat, Yasin Hayal, à la prison à vie, mais estimé qu'il n'y avait pas eu complot et acquitté 18 autres complices présumés.

Ce verdict a provoqué un tollé chez les avocats de la famille Dink, qui ont estimé qu'il laissait dans l'ombre les implications politiques du crime et d'éventuelles complicités au coeur de l'État turc.

La 14e chambre a commencé mardi à rejuger M. Hayal, ainsi que six de ses 18 complices présumés, sur injonction de la Cour de Cassation qui a estimé le 15 mai dernier que les juges du fond avaient eu tort de ne pas retenir pour eux la qualification de "crime en bande organisée".

Lors de cette première audience, à laquelle seul assistait Yasin Hayal, les avocats de la partie civile ont appelé les juges à approfondir l'enquête en s'intéressant notamment à l'implication possible de certains policiers et gendarmes dans l'affaire.

"Si vous choisissez de suivre la décision de la Cour de cassation, tous ces vides de l'instruction doivent être examinés", a plaidé Me Bahri Bayram Belen.

Yasin Hayal a pour sa part dénoncé la position de la Cour de cassation. "Je n'ai ni fondé, ni dirigé d'organisation criminelle", a-t-il déclaré.

A l'extérieur du palais de justice, une centaine de manifestants, dont trois députés kurdes et deux députés de l'opposition sociale-démocrate, ont eux-aussi réclamé que la lumière soit faite sur l'affaire Dink, aux cris de "nous sommes tous Hrant, nous sommes tous des Arméniens".

"Arrêtez les simulacres, jugez les vrais responsables", pouvait-on lire sur une large banderole.

Malgré ce nouveau procès, les proches de Hrant Dink sont restés pessimistes.

"Hrant Dink a été tué avec l'aide et les instructions d'agents publics (...) mais l'État va continuer à protéger ces agents publics", a déploré devant le tribunal une porte-parole de l'association des "amis de Hrant Dink", Gülten Kaya.

"Il est possible que l'instigateur (du crime) et ses compagnons soient condamnés pour avoir agi en bande organisée mais la structure 'nationale' et historique ne sera pas traduite en justice, elle va rester cachée et, qui sait, elle pourrait même bénéficier de promotions", a poursuivi Mme Kaya.

La famille Dink a pour sa part annoncé dans un communiqué qu'elle n'assisterait plus aux audiences "dans ces salles ou l'on boit les mensonges comme de l'eau, (...) où le droit, où les droits, où le juste et l'honnête sont foulés aux pieds".

La chambre criminelle a ajourné l'audience au 3 décembre pour permettre à tous les suspects de s'exprimer sur la décision de la Cour de cassation, avant de décider si elle accepte ou non de rejuger l'affaire.

La participation de Samast à cette organisation criminelle supposée sera quant à elle examinée dans une audience séparée le 5 novembre, selon les avocats de la partie civile.

A la demande du procureur, elle a également ordonné l'arrestation d'un des suspects acquittés, Erhan Tuncel, qui avait prétendu lors du premier procès être un indicateur de la gendarmerie et contre lequel le ministère public a fait état de nouvelles preuves.

Hrant Dink oeuvrait à la réconciliation entre Turcs et Arméniens mais les nationalistes turcs lui reprochaient vivement de qualifier le massacre de centaines de milliers d'Arméniens sous l'Empire ottoman en 1915 de génocide, un terme réfuté par Ankara.

L'assassinat du journaliste avait provoqué un sursaut dans la société turque. A Istanbul, plus de 100.000 personnes avaient défilé, le jour des obsèques. (AFP, 17 septembre 2013)

Info-turk.be