Quatre ans après l'assassinat du journaliste Hrant Dink, la justice turque se contente toujours d'investigations superficielles. Des avocats, artistes et intellectuels l'interpellent.


Le 19 janvier 2007, un homme de belle facture, profondément turc et profondément arménien (chrétien) était assassiné à Istanbul, au pied de l'immeuble abritant la revue Agos qu'il avait créée. Le tireur, Ogün Samast, 17 ans au moment des faits, a revendiqué son acte avec forfanterie, applaudi par des policiers. La justice turque vient de décider qu'il sera présenté devant un tribunal pour enfants. Conséquence prévisible : s'il n'a pas été jugé endéans les cinq ans, il pourrait être libéré en janvier 2012. Le contraire de ce que l'on aurait attendu, après l'émotion suscitée en Turquie et dans le monde entier par ce crime politico-religieux.   Hrant Dink militait pour que ses compatriotes reconnaissent le génocide de 1915, qui a anéanti la civilisation arménienne, vieille de plusieurs millénaires, sur l'actuel territoire turc. « Il incarnait un espoir pour des milliers de Turcs et d'Arméniens désireux de concevoir leur avenir ensemble, dans le souci de la vérité et le respect de l'autre », énonce un Appel publié par Le Monde daté du 20 janvier et signé par de nombreux avocats, artistes et intellectuels, français et belges. Les bâtonniers de Bruxelles et une kyrielle de dignitaires de l'ordre des avocats de Bruxelles appuient « Justice pour Hrant Dink », qui va continuer sa vie sur Internet (www.afaja.fr). Extraits.

« L'émotion internationale provoquée par cette brutale disparition et la douleur exprimée par les milliers de citoyens turcs venus assister à ses funérailles nourrissaient l'espoir que, Dink mort, ses idées lui survivraient. Le déroulement du procès de ses assassins et complices présumés, ouvert depuis juillet 2007, n'est pourtant pas de nature à entretenir cet espoir et à répondre à l'exigence de justice, qui dépasse le cercle de sa famille et de ses amis pour s'étendre à la société civile turque et à l'opinion internationale. Qui sont les commanditaires de cet assassinat ? Pourquoi les autorités informées de sa préparation ne l'ont pas empêché et n'ont pas cherché à protéger Hrant Dink ? Existe-t-il des complicités au sein de l'appareil d'Etat ? » s'interrogent les pétitionnaires.  Ils rappellent que la Cour européenne des droits de l'homme, présidée par la Belge Françoise Tulkens, a, dans son arrêt du 14 septembre 2010 condamnant la Turquie, remis en cause la crédibilité des poursuites engagées à ce jour, soulignant notamment le fait qu'« aucune des trois autorités informées de la planification de l'assassinat et de son exécution imminente n'a réagi afin de l'empêcher. La Cour détaille les manquements graves imputés aux forces de l'ordre et à la justice turcs : enquête du parquet se bornant à défendre les policiers de Trabzon sans apporter d'élément expliquant leur « inactivité» ; pressions sur des sous-officiers de gendarmerie de Trabzon pour qu'ils fassent de fausses déclarations ; aucune poursuite engagée contre la police d'Istanbul, alors que des inspecteurs du ministère de l'Intérieur avaient conclu que « les responsables de la police n'avaient pas pris les mesures exigées par la situation».  La pétition lancée en décembre 2007 par quatre intellectuels turcs en mémoire de Hrant Dink et de son combat pour la reconnaissance de la Grande Catastrophe (30 000 signatures) avait créé une embellie. Mais elle vire à l'aigre. Le 9 janvier dernier, le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a ordonné la destruction d'un monument érigé à la frontière avec l'Arménie et dédié à l'amitié entre les deux pays, « pour des raisons esthétiques ». Une décision vivement contestée en Turquie.

MARIE-CÉCILE ROYEN

 Le VIF-L'Express  du 21 janvier 2011, page 64

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