La loi du 29 janvier 2001 qui reconnaît le génocide des Arméniens est un texte déclaratif, qui ne permet pas de poursuivre les négateurs de ce génocide devant la justice. Partant du constat que le négationnisme du génocide des Arméniens n'est pas interdit pas la loi française, nous exhortons la représentation nationale à pallier cette carence et, à l'instar de la loi Gayssot pour la négation de la Shoah, à voter un texte normatif qui permettrait aux juges de condamner les négationnistes du génocide des Arméniens. Nous en appelons ainsi aux sénateurs, pour qu'ils votent, lors de la séance du 4 mai, en faveur de la proposition de loi votée en première lecture par l'Assemblée nationale, et dont le processus d'adoption est bloqué depuis près de cinq ans.

Le négationnisme, parce qu'il procède du même mécanisme idéologique, est la continuation de l'entreprise génocidaire qui vise à nier à un groupe le droit d'exister, puis celui d'avoir une mémoire. Il n'a d'autre but que de rechercher à effacer les traces du crime, constituant ainsi la phase ultime du génocide. La négation d'un génocide est une agression intolérable envers les porteurs de la mémoire traumatique des survivants et des descendants des victimes, mais elle constitue également une attaque envers les valeurs fondamentales de nos sociétés fondées sur la réprobation des haines qui sont à la base des crimes contre l'humanité.

Le négationnisme n'est pas une opinion anodine, mais bien une atteinte à l'intégrité morale des individus visés, ainsi qu'à l'ordre public. Nous n'aurons de cesse de défendre la liberté de recherche et liberté d'expression. La loi Gayssot n'a jamais empêché les historiens de travailler et l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ainsi que l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, prévoient la possibilité de restreindre cette liberté par la loi, lorsque cela est nécessaire, comme c'est le cas notamment pour le racisme et la diffamation. Par conséquent, le droit à la dignité, qui est un principe constitutionnel auquel nul ne peut déroger, ne met pas en péril la liberté d'expression.

Rappelons notamment, les manifestations négationnistes dans les rues de Lyon et de Paris, la publication, dans plusieurs quotidiens à grand tirage, d'une page entière niant le génocide des Arméniens (le 5 mars 2006), les dégradations des mémoriaux, les agressions physiques (à Valence dans la Drôme en 2006 et à Bruxelles en 2007) ainsi que les sites Internet et la publication d'ouvrages niant ouvertement la réalité du génocide (Génocide Arménien : Et si on nous avait menti ?, en 2010 ou Esquisse de 2 000 ans d'Histoire de la Turquie, en 2011).

 Face à la multiplication et au risque de banalisation des actes négationnistes, il nous apparaît urgent que la loi protège les citoyens, en sanctionnant le négationnisme du génocide des Arméniens.

 

Dominique Sopo, président de SOS Racisme ; Marcel Kabanda, président d'Ibuka-France ; Arielle Schwab, présidente de l'Union des étudiants juifs de France ; Jean-Claude Gayssot, ancien ministre et ancien député à l'origine de la loi Gayssot ; Jacky Mamou, président du collectif Urgence Darfour ; Vincent Nioré, avocat au barreau de Paris ; Benjamin Abtan, secrétaire général de l'European grassroots antiracist movement ; Dogan Özgüden, journaliste, président de la fondation Info-Türk ; Yériché Gorizian, étudiant, porte parole du Nor Seround ; Yves Ternon, historien ; Bernard Jouanneau, avocat, président de Mémoire 2000...

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