Les agressions physiques ou verbales contre la communauté juive sont-elles en hausse ? Notre pays connaît-il une recrudescence de l’antisémitisme ?

Le président du Conseil de Coordination des Organisations Juives de Belgique (CCOJB) a répondu à cette question au cours de son brillant dîner de gala, le 20 septembre dernier, en présence du premier ministre, de plusieurs membres du gouvernement, des corps constitués et des cultes reconnus. Dans son discours, le professeur Maurice Sosnowski n’y a pas été par quatre chemins. Non seulement la haine des Juifs et la minimisation de la Shoah s’expriment publiquement, mais ces agressions ne suscitent guère de réprobation du monde politique. Ainsi en a-t-il été lors de la manifestation de soutien au Hamas du 17 janvier 2009, à laquelle participaient des représentants de tous les partis politiques démocratiques.

Certains n’hésitent pas à minimiser le phénomène en distinguant antisémitisme traditionnel,  condamnable, et hostilité des Musulmans envers les Juifs, en raison du conflit en cours entre Palestiniens et Israéliens. Tel était l’opinion soutenue par l’Ambassadeur des Etats-Unis en Belgique, le 30 novembre dernier, au cours d’une conférence organisée par l’Union Juive Européenne. Pour lui, la diminution significative de cette dernière forme d’hostilité serait obtenue par la signature d’un traité de paix Israélo-palestinien. Ces propos ont choqué et l’affaire est remontée jusqu’au président Obama, qui n’a pas désavoué son représentant.

Le philosophe Edouard Delruelle, qui dirige le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme, s’exprimant à la radio, le 5 décembre dernier, reconnaissant que les Juifs de Belgique ont raison d’être inquiets, relève qu’en « 2009, au plus fort de la guerre de Gaza, les actes d'antisémitisme ont doublé en Belgique, pour retrouver leur niveau moyen, je mets les guillemets, en 2010. Preuve qu'il y a bel et bien glissement entre sentiment anti-israélien et antisémitisme ». Il ajoute que les moyens légaux manquent pour combattre efficacement ce mal.

Pour Maurice Sosnoswski,  « l’antisionisme radical tient bien de l’antisémitisme de par ses appels à la haine du Juif ». Et de citer, les « conclusions d’un rapport d’experts européens sur l’antisémitisme rejoignant celle du sociologue Didier Lapeyronnie, professeur à l’Université Paris Sorbonne pour qui « la focalisation sur les évènements du Proche-Orient vient du fait que les gens sont antisémites, pas l’inverse ». Ce n’est pas pour rien, dit-il, qu’à la conférence mondiale de Durban sur le racisme, en 2001, « il n’y avait plus qu’une victime intéressante au monde : la victime palestinienne, et qu’un criminel digne d’intérêt, le criminel sioniste, qu’une idéologie à combattre de toutes ses forces : le sionisme ».

Et d’en conclure que les Juifs de Belgique éprouvent un sentiment grandissant d’abandon, un sentiment qui ne leur est pas propre. Il poursuit : « D’autres Belges partagent ce sentiment. Ainsi des Belges d’origine arménienne qui, tout comme les Juifs, ont l’impression d’être sacrifiés à l’autel d’enjeux purement communautaristes. Au nom du mieux vivre ensemble faudra-t-il en venir à ne plus jamais oser évoquer le génocide des Arméniens ? ».

L’abandon des Arméniens ressenti après la reconnaissance à la Turquie du statut de pays candidat à l’UE est devenu palpable depuis les élections régionales de 2004. Pour la première fois, la négation du génocide des Arméniens était un argument électoral belge, valant même à  l’un de ses bénéficiaires d’entrer au gouvernement.

A la différence du négationnisme anti-arménien, l’antisémitisme est présent en Belgique de très longue date, puisqu’il remonte au temps où ceux qui n’étaient pas chrétiens n’étaient pas sujets de droit. Ces temps-là sont heureusement révolus. Tous les hommes sont égaux en droit sans distinction de sexe, de race, de langue, de religion, etc. Mais il n’en va pas de même ailleurs, et notamment en terre d’Islam.

Si la dhimmitude n’est plus officiellement la règle en Syrie, en Irak, en Egypte ou en Turquie, elle le demeure largement dans les mœurs et fait encore partie du consensus social. Le « printemps arabe » a permis de le vérifier, car la chute des régimes autoritaires en place a libéré des forces, qui s’en sont prises aux minorités, en particulier aux chrétiens. Aussi dur soit-il, et sans doute parce que dur, le régime du président Assad a permis le maintien d’une des rares présences arméniennes au Proche-Orient. Combien de temps tiendra-t-il face aux pressions internationales ?

En Terre sainte, la dhimmitude n’a plus force de loi, mais sans cette donnée pas d’analyse  convaincante. Comme l’écrit Nathan Weinstock (1), « le nœud du problème se situe au niveau du rapport que le monde arabo-musulman entretient avec le judaïsme. De là découle le « refus arabe» opposé à la légitimité même de l’existence d’une communauté nationale juive en Palestine, sous quelque forme que ce soit. Haine existentielle du Juif et d’Israël qui est bien antérieure (…) à la naissance du problème des réfugiés palestiniens ou à l’occupation de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. Le sentiment insupportable que suscite l’existence même d’un Etat juif relève de la frustration identitaire. Ce qui est vécu comme « intolérable », c’est de ne pouvoir infliger au minoritaire l’abaissement auquel il était promis. »

Les Arméniens ont subi cet abaissement dans l’empire ottoman jusqu’à la « solution finale » de 1915  et n’en ont pas été délivrés par l’avènement de la république kémaliste. Ils sont encore et toujours poursuivis par cette même haine, où qu’ils se trouvent, pour oser en demander réparation, comme sont poursuivis par la justice turque, sur base de l’article 301 du code pénal, et par la vindicte populaire, tous ceux, Arméniens ou non, qui affirment l’existence d’un génocide en 1915.

La charia, qui fonde le régime de la dhimmitude, n’a pas cours en Belgique, le code pénal turc non plus. Rien ne justifie donc l’importation de ces vieilles haines. Rien ne justifie que nos autorités, qu’elles soient politiques, académiques ou religieuses, plient devant ces vents contraires, s’autocensurent par « accommodement » et abandonnent le citoyen à la peur.  Le vendredi 18 novembre dernier à Neder-Over-Heembeek, Océane, 13 ans, a été rouée de coups par 5 condisciples de l’Athénée des Pagodes, aux cris de : « Ferme ta gueule, sale juive, et retourne dans ton pays ». Le ministre de l’Enseignement a-t-il offert sa démission ?

Antisémitisme et négationnisme sont donc bien aujourd’hui des aspects d’un même danger  social. Un même produit d’importation hautement toxique, qui touche d’abord les Juifs et les Arméniens, mais qui, à terme, menace la cohabitation harmonieuse de tous ceux qui aiment la Belgique.

M. Mahmourian

(1) Histoire de chiens - La dhimmitude dans le conflit israélo-palestinien, Mille et une nuits, 2004, p. 188

 

Hay n° 317, décembre 2011