Paris, le 16 octobre 2009

Le Conseil National du CCAF a mandaté le 5 septembre dernier Monsieur Philippe Kalfayan (juriste, expert accrédité auprès de la Direction des Affaires Juridiques du Conseil de l’Europe, et secrétaire général de la FIDH de 2001 à 2007) pour observer le procès en appel à Tbilissi (Géorgie) de Vahagn Chakhalyan. 

Président du mouvement politique "Alliance Démocratique Djavakhk Uni", Vahagn Chakhalyan est l’un des leaders des arméniens de la région de Samtskhé-Djavakhétie en Géorgie. Il a été interpellé à son domicile le 21 juillet 2008 puis mis en examen pour une présumée acquisition et détention d’arme et de munitions, ce qu’il a toujours nié. Il a été condamné le 7 avril 2009 par le Tribunal du District d’Akhalskha à 10 ans de prison ferme pour « détention illégale d’armes », mais aussi pour « participation à des manifestations de masse troublant l’ordre public » et « hooliganisme ». 

D’un point de vue strictement juridique, les observations faites lors de ce procès et l’étude du dossier judiciaire mettent en évidence les atteintes des autorités géorgiennes aux droits de Vahagn Chakhalyan à avoir un procès équitable : 

- L’ajout des chefs d’inculpation liés aux manifestations de 2005 et 2006 s’est fait à la surprise générale à l’ouverture du procès en première instance, soit le 3 décembre 2008, à la faveur d’une loi votée dans l’intervalle qui autorise le cumul des charges et des peines en matière pénale, dès lors que les délits en question ne sont pas prescrits ; la date du procès verbal des délits faisant foi. L’application de cette nouvelle loi dans le cas de Chakhalyan, même si les procédures semblent avoir été respectées, démontre la volonté des autorités géorgiennes de maintenir Chakhalyan en détention pour une longue période, car le seul délit de détention d’armes n’était passible que d’une année de prison ; 

- Jusqu’au 18 septembre 2009, date de la reprise de l’audience du procès en appel, aucune contre expertise de l’arme présumée du prévenu Chakhalyan, exigée par la défense, n’a été effectuée; Le procès a d’ailleurs été reporté au 23 octobre dans l’attente des résultats ; 

- Le Procureur a refusé la présence d’experts indépendants et des avocats à la contre expertise ; Un recours des avocats a été déposé pour contester cette décision ; 

- La traduction en arménien des audiences est incomplète et de mauvaise qualité et ne permet pas au prévenu et à son avocat arménien de suivre les débats ; L’équité des débats est donc ouvertement et grossièrement bafouée ; C’est une violation de l’article 6 (paragraphe 3e) de la Convention Européenne des Droits de l’Homme ; 

- Le refus du Tribunal en première instance  de laisser le prévenu ou ses avocats interroger les témoins à charge, est une violation patente de l’article 6 (paragraphe 3d) de la Convention Européenne des Droits de l’Homme ; C’est également une violation de l’article 42 (paragraphe 6) de la Constitution géorgienne. la Cour d’Appel n’est pas revenu sur ce refus et a motivé son rejet des requêtes déposées par les avocats en prétextant qu’en première instance aucun recours n’avait été déposé ; 

- Le refus de la Justice géorgienne, qui a rédigé et fait ratifier dans l’urgence par le Parlement géorgien un amendement législatif interdisant l’accès aux avocats étrangers, en l’occurrence un avocat français, pour défendre devant les juridictions géorgiennes des citoyens géorgiens, est une autre violation patente de l’article 6 (paragraphe 3c) de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, mais aussi de la Constitution géorgienne (article 42). Un recours devant la Cour Constitutionnelle de Géorgie sera déposé incessamment par l’un des avocats de la famille ; 

Le Conseil National du CCAF s’interroge sur les motivations profondes des autorités géorgiennes à violer de manière aussi patente et ciblée les droits de Vahagn Chakhalyan à un procès équitable et à se mettre en infraction avec leurs engagements internationaux. 

Les rapports d’ONG de défense des droits de l’Homme mais aussi d’organisations institutionnelles telles l’ABA (American Bar Association) mettent en relief un système judiciaire globalement déficient et sous l’influence prégnante de la Procurature, en d’autres termes du pouvoir exécutif. Cette situation générale ne saurait absoudre l’acharnement des autorités géorgiennes contre Vahagn Chakhalyan. 

Le Conseil National du CCAF se pose légitimement la question de la relation entre les revendications portées par V. Chakhalyan concernant les droits linguistiques, religieux, socioculturels et éducatifs des arméniens de Géorgie et de la région de Samtskhe-Djavakhetie et cet acharnement judiciaire. N’essaie t-on pas d’annihiler durablement, au travers de la condamnation de Chakhlalyan, tout esprit de revendication pour le respect des droits de la minorité nationale arménienne du Samtskhé-Djavakhétie ? 

En conséquence, le Conseil de Coordination des organisations Arméniennes de France demande aux autorités géorgiennes :

- de mettre fin à ce procès inique, et de rétablir tous les droits de Vahagn Chakhlayan ;

- d’abroger la loi anti-constitutionnelle interdisant aux avocats étrangers de défendre les citoyens géorgiens ;

- de respecter les obligations légales inhérentes aux engagements internationaux de la République de Géorgie, notamment le Pacte International sur les Droits Civils et Politiques et la Convention Européenne des Droits de l’Homme, deux instruments auxquels l’Etat géorgien est partie, et dont la primauté normative est reconnue par l’article 6 de la Constitution géorgienne ;

- de respecter plus particulièrement toutes les exigences de l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, qui stipule que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal indépendant et impartial dans le respect de l’égalité entre l’accusation et la défense.

 

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