La Croix. Marianne Meunier. 02/06/2016 

Le Bundestag devrait adopter, ce jeudi 2 juin, une résolution qualifiant de « génocide » le massacre de près de 1,5 million d’Arméniens par l’empire ottoman au début du XXe siècle et reconnaître les responsabilités allemandes. Une première outre-Rhin.

Le Bundestag doit être, jeudi 2 juin, le théâtre d’un vote dont les conséquences risquent fort de dépasser les frontières allemandes. Ses 630 élus sont appelés à se prononcer sur une résolution reconnaissant le génocide arménien, une première outre-Rhin. Jamais un texte officiel n’y a encore qualifié de « génocide » les massacres perpétrés par les Turcs ottomans, qui ont fait 1,5 million de morts parmi les Arméniens entre 1915 et 1917.

Le projet de résolution, intitulé « Souvenir et commémoration du génocide des Arméniens et d’autres minorités chrétiennes il y a 101 ans », a toutes les chances d’être adopté. Ce sont les groupes parlementaires qui forment la majorité – les chrétiens-démocrates de la CDU, le parti d’Angela Merkel, et les sociaux-démocrates du SPD –, ainsi que les Verts, qui l’ont proposé.
Concernant aussi les Syriaques et les Chaldéens, le texte « déplore les actes commis par le gouvernement Jeunes Turcs (le parti nationaliste au pouvoir dans l’empire ottoman à l’époque, NDLR) de l’époque, qui ont conduit à l’extermination quasi-totale des Arméniens ».

Responsabilités allemandes
La qualification de « génocide » n’est pas l’unique nouveauté. La même résolution reconnaît la responsabilité de l’Allemagne de l’époque, alors principale alliée de l’empire ottoman, dans les massacres. Dans leur proposition de texte, les élus regrettent « le rôle déplorable du Reich allemand qui, en tant que principal allié militaire de l’empire ottoman (…), n’a rien entrepris pour stopper ce crime contre l’humanité ».
Le Bundestag fait écho au président allemand, Joachim Gauck. En avril 2015, cet ancien pasteur originaire de l’ex RDA avait employé le mot « génocide » lors d’une commémoration religieuse du centenaire du massacre des Arméniens à Berlin. Il avait évoqué « une coresponsabilité, et même, potentiellement, une complicité » de l’Allemagne à l’époque et appelé ses compatriotes à faire un « travail de mémoire ».

« Il faut laisser l’histoire aux historiens », pour Ankara
Dès avant le vote, le texte a entraîné des réactions en Turquie, qui nie tout génocide et affirme que les victimes ont péri dans le cadre d’une guerre civile doublée d’une famine. « C’est un vote absurde, il faut laisser l’histoire aux historiens », a affirmé le premier ministre turc, Binali Yildirim, à Ankara.
Et d’ajouter : « Il ne se passera rien, ce texte n’a aucune valeur pour nous, il sera nul et non avenu. » Une réponse aux voix inquiètes qui craignent de voir la Turquie cesser d’appliquer l’accord sur les migrants signé avec l’Union européenne (UE) en mars dernier.

Mises en garde arméniennes
L’Arménie a également réagi par avance. Dans une interview au quotidien allemand grand public « Bild », le président Serge Sarkissian a espéré que les députés allemands « ne se laisseront pas intimider » par Ankara. « Quand on commence à faire des compromis pour préserver des intérêts politiques à court terme, on est capable de le refaire en permanence, a-t-il ajouté. Et ce n’est pas bon pour l’Allemagne, pas bon pour l’Europe ni pour le monde. »
MARIANNE MEUNIER