Le Monde.fr - 04/11

Les coprésidents du HDP et plusieurs députés de la formation ont été interpellés dans la nuit de vendredi dans le cadre d’une enquête « antiterroriste ».

Le premier ministre turc a annoncé qu’au moins huit personnes sont mortes et plus de cent autres ont été blessées dans l’explosion survenue vendredi 4 novembre devant un bâtiment de la police de Diyarbakir, dans le sud-est à majorité kurde de la Turquie. « Jusqu’à présent, il y a huit décès, dont deux policiers», a déclaré Binali Yildirim, ajoutant que le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), « a montré à nouveau son visage perfide (…)

Ils ont fait exploser un véhicule rempli d’explosifs ». L’explosion est survenue quelques heures seulement après le placement en garde à vue des deux coprésidents du principal parti prokurde du pays, le Parti démocratique des peuples (HDP). Selahattin Demirtas et Figen Yüksekdag, également députés, ont été placés en garde à vue dans le cadre d’une enquête instruite par le parquet de Diyarbakir portant sur des liens présumés avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), selon l’agence de presse progouvernementale Anatolie.

Ces gardes à vue, qui représentent un coup de filet sans précédent contre la troisième force politique du pays, surviennent dans un contexte de purges tous azimuts des opposants en Turquie, à la faveur de l’état d’urgence instauré après la tentative manquée de renversement du président Recep Tayyip Erdogan imputée aux réseaux du prédicateur Fetullah Gülen.

Appel à la communauté internationale

Au moins neuf autres parlementaires de la troisième force politique de Turquie ont connu le même sort, selon une liste diffusée par le parti et par le ministère de l’intérieur. Parmi eux, plusieurs poids lourds de la formation, comme Idris Baluken, président du groupe parlementaire, et Sirri Süreyya Önder, figure respectée de la cause kurde. Le quartier général du HDP à Ankara a par ailleurs fait l’objet d’une perquisition, selon les images retransmises en direct par la chaîne NTV. « Le HDP appelle la communauté internationale à réagir contre ce coup du régime d’Erdogan », a déclaré la formation sur son compte Twitter.

Le HDP a posté sur son compte Twitter une vidéo qui semble montrer l’interpellation de Mme Yüksekdag à son domicile : « Votre procureur est un bandit et vous aussi êtes des bandits ! », crie la codirigeante du parti à l’endroit des personnes venues l’arrêter. « Les policiers sont à la porte de mon domicile à Diyarbakir avec une décision de placement en garde à vue par la force », a déclaré M. Demirtas sur le même réseau social peu avant son arrestation.

Federica Mogherini, la chef de la diplomatie de l’Union européenne, a fait part sur Twitter de son inquiétude après l’annonce des arrestations. Elle a également fait état de la « convocation d’une réunion des ambassadeurs de l’UE à Ankara », sans plus de précisions à ce stade.

De son côté, le ministère des affaires étrangères allemand a convoqué le chargé d’affaires turc en Allemagne en raison « des derniers développements en Turquie ». L’entretien est prévu dans la journée.

Les maires de Diyarbakir détenus

M. Demirtas et Mme Yüksekdag font l’objet de plusieurs enquêtes sur de présumés liens avec le PKK, mais ont assuré à plusieurs reprises qu’ils ne se rendraient pas de leur plein gré à une éventuelle convocation de la justice. Selon Anatolie, leur placement en garde à vue a été décidé dans ce cadre. Le HDP, qui compte 59 députés au Parlement, dément être l’« aile politique » du PKK.

Cette vaste opération policière nocturne survient dans un contexte très tendu, notamment depuis le placement en détention, dimanche, des deux maires de Diyarbakir, « capitale » du sud-est de la Turquie à majorité kurde, une ville ensanglantée par des combats quotidiens entre forces de sécurité et membres du PKK.

Considéré par Ankara et ses alliés occidentaux comme un groupe terroriste, le PKK a rompu avec l’armée turque, à l’été 2015, un fragile cessez-le-feu et repris les hostilités, qui ont fait plus de 40 000 morts depuis 1984. Etat d’urgence La Turquie vit sous état d’urgence depuis la tentative de coup d’Etat de juillet.

Plusieurs pays européens et des organisations non gouvernementales accusent les autorités de ne pas se limiter aux présumés putschistes et de cibler des opposants. Le président, Recep Tayyip Erdogan, considère que le HDP est étroitement lié au PKK et a fait savoir qu’il ne considérait plus cette formation comme un interlocuteur légitime, qualifiant régulièrement ses membres de « terroristes ».

En mai, le Parlement turc a voté la levée de l’immunité des députés menacés de poursuites judiciaires, une mesure contestée visant notamment les élus du HDP. M. Demirtas, un temps surnommé l’« Obama kurde » en raison de son charisme, a longtemps été considéré comme un potentiel rival de M. Erdogan sur la scène politique nationale dominée par le chef de l’Etat.

Le Monde.fr avec AFP et Reuters