LaLibre.be. Christophe Lamfalussy - 07/12
Les Arméniens ont déposé mercredi une plainte devant la Cour européenne des droits de l’homme pour récupérer la propriété du siège historique de leur église apostolique de Sis (Kozan) en Turquie et le droit d’y exercer leur culte.
« Un moment historique » a fait savoir du Liban leur catholicos Aram 1er. « Pour la première fois, nous intentons une action légale contre la Turquie ».
La « propriété » consiste en un monastère, la cathédrale Sainte-Sophie et la résidence dont il ne reste aujourd’hui plus que des ruines, dont deux murs de soubassement auprès duquel une plaine de jeux a été installée par la municipalité de Kozan. Mais ce lieu est symbolique. Il fut le quartier-général de l’église arménienne sous l’empire ottoman, pendant plus de sept siècles. Sis fut aussi la capitale de l’ancien royaume arménien de Cilicie pendant deux siècles.
En septembre 1915, en plein génocide arménien, les religieux avaient eu dix jours pour évacuer les lieux. Ils n’emportèrent que quelques objets et finirent par s’établir sur les hauteurs de Beyrouth, à Antélias, où ils ont construit une nouvelle cathédrale.
La diaspora arménienne avait dans un premier temps escompté sur la bonne volonté du Premier ministre turc de l’époque, Recep Tayyip Erdogan, pour obtenir cette restitution. Mais deux lettres adressées par Aram 1er à M.Erdogan sont restées sans réponse.
En 2011, le Catholicossat de la Grande Maison de Cilicie avait porté l’affaire devant la Cour constitutionnelle de Turquie. Il a été débouté cette année sous le prétexte que l’église arménienne n’avait pas fait enregistrer ses biens lors d’une loi passée en 1936. D’où l’idée de saisir la Cour européenne. Un dossier de 900 pages a été transmis mercredi à Strasbourg.
« On n’en serait pas là si le gouvernement turc avait répondu aux deux lettres de Sa Sainteté Aram. Si cela avait été moi, j’aurais restitué immédiatement ce monastère car notre dossier est solide », a déclaré lors d’une conférence de presse à Bruxelles l’avocat irano-canadien Payam Akhavan. Il est à la tête d’une équipe de juristes britanniques et turcs chargés de suivre cette affaire.
L’avocat estime qu’une décision positive de la Cour européenne pourrait ouvrir la voie à d’autres restitutions, ce que craint évidemment Ankara plus de cent ans après le génocide qui a fait 1,5 million de morts. Près de 8 000 ruines d’églises arméniennes ont été identifiées dans le pays, hors la région de Van. Les Arméniens ont été dépouillés de leurs biens tandis que d’autres, restés en Turquie, ont été islamisés.
Mais l’avocat insiste sur le caractère unique de Sis. « Ce n’est pas un verger, ni un magasin, mais un lieu à signification historique », dit-il. « Nous sommes prêts à investir des milliers de dollars pour le restaurer et en faire un lieu de culte. Cela pourrait être tout bénéfice pour la municipalité car des touristes et des fidèles viendraient ».
Les Arméniens tiennent à faire revivre ce lieu de culte et refusent donc une compensation financière. L’essentiel de la communauté arménienne vit aujourd’hui à Istanbul, où elle dispose de plusieurs dizaines d’églises. En 2007-08, le gouvernement turc a fait restaurer, près de Van, l’église Sainte-Croix d'Aghtamar, mais l’a transformée en un musée où une seule messe peut être célébrée chaque année.
La Cour européenne doit dans un premier temps déclarer la plainte admissible, puis le gouvernement turc va donner son avis avant que le jugement soit prononcé, pas avant plusieurs mois ou années probablement.