Honte aux Turcs (et à nous…)

Maroun Labaki, Le Soir, 14 octobre 2014

C’est insupportable! Allons-nous assister en direct à la chute de Kobané, sur nos écrans, sur les réseaux sociaux? Depuis des jours, la petite ville kurde tremble et vacille sous les coups furieux des soldats de Daesh, mais son sort paraît désespéré.   C’est insupportable! Cette mort annoncée, quasiment acquise, de milliers de personnes, dont des centaines de civils, qui vont être au préalable éventrés, mutilés, violés, niés dans leur humanité… Nous sommes pourtant en 2014, pardi!

  La Turquie, qui refuse de laisser passer des renforts kurdes vers Kobané, est montrée du doigt. Son attitude vis-à-vis des djihadistes syriens a toujours été ambiguë. Officiellement, la priorité d’Ankara reste la chute du régime al-Assad, qu’il ne faudrait pas renforcer en affaiblissant ses adversaires. C’est une manière de voir. Honorable? Concédons aux Turcs, à cet égard, le bénéfice du doute.

 

Dans les faits, la réalité semble plus prosaïque. En laissant «crever» Kobané, les Turcs entendraient surtout se prémunir contre l’émergence d’un Etat kurde à leur frontière sud. Lequel Etat serait de surcroît dominé par le PKK, leur vieil ennemi de l’intérieur. Indignes petits calculs…

D’autres également seront comptables de leur passivité. On peut faire pression sur Ankara. On peut même, vraisemblablement, acheminer de l’aide et des renforts à Kobané sans le concours des Turcs. Qui le demande, l’exige, le planifie?

Srebrenica hante encore bien des cauchemars. C’était en juillet 1995: la communauté internationale et ses Casques bleus avaient alors abandonné à son triste sort la petite enclave musulmane de Bosnie, suite à quoi de 6.000 à 8.000 personnes avaient été massacrées. Tout pousse au rapprochement: sont à l’œuvre aujourd’hui aussi la désinvolture, la négligence, le cynisme, la lâcheté, l’irresponsabilité.

C’est insupportable. Lorsque le drapeau noir de Daesh sera hissé sur toute la ville de Kobané, une honte noire s’abattra sur le monde.