LE SOIR, Catherine Joie, 13 mars 2015
En 1915, 1,3 million d’Arméniens ont été déportés et exécutés en quelques mois, sur ordre du gouvernement des Jeunes-Turcs. La question de la reconnaissance du génocide empêche encore les relations entre l’Arménie et la Turquie.
Le printemps 2015 sera notamment celui du souvenir et des commémorations.
Il y a cent ans, en mars 1915, commençaient le massacre et la déportation des Arméniens de l’Empire ottoman. Le processus d’extermination ordonné par le gouvernement des Jeunes-Turcs dura plus d’un an et demi, durant lequel 1,3 million d’Arméniens furent arrêtés, déplacés et exécutés. Soit 65% de la population arménienne de l’Empire ottoman en 1915. Le premier génocide du XXe siècle...
« D’après les estimations, le génocide arménien au sens large (Arméniens, Syriaques et Grecs du Pont) a fait entre un et deux millions de victimes. Le génocide juif, plus de six millions. Et le génocide rwandais, un million. Mais ce ne sont pas les chiffres qui définissent un génocide. C’est la volonté d’exterminer une population qui est jugée inassimilable. Dans le cas arménien, il s’agit de l’élimination de la population qu’il était impossible de turquiser », explique Laurence van Ypersele, historienne de la Première Guerre mondiale à l’UCL.
Mars 1915. Le gouvernement des Jeunes-Turcs, qui dirige l’Empire ottoman depuis la révolution de 1908 et qui rêve d’un Etat nation turc et musulman, décide de vider les régions de l’est de l’Empire de leur population arménienne. Une minorité riche, puissante, bien implantée et qui est perçue comme une menace potentielle... Les Jeunes-Turcs vont alors profiter du climat de tension générale en Europe (l’Empire ottoman s’est allié à l’Allemagne et à l’Autriche-Hongrie au début de la guerre) pour s’en prendre aux Arméniens.
Dans un premier temps, les déportations et les massacres se limitent à quelques villes des provinces orientales. Mais à partir du 24 avril, les événements prennent de l’ampleur (cette date charnière du génocide arménien est celle autour de laquelle s’articulent les commémorations). Dans la nuit du 24 au 25avril, plus de 200 intellectuels arméniens sont arrêtés dans plusieurs grandes villes, dont Constantinople. Ils sont déportés vers l’est, puis exécutés par l’Organisation spéciale (un groupe paramilitaire créé par le ministère de l’Intérieur pour se charger des assassinats).
Durant les semaines et les mois qui suivent, les exécutions seront « complétées » par le départ de grands convois de femmes, d’enfants et de personnes âgées, forcés de traverser des zones désertiques pour atteindre des « zones de relégation » en Syrie ou en Mésopotamie. Sur le million d’Arméniens déplacés entre avril et septembre 1915, 400.000 sont morts en cours de route, de faim, de soif, des suites de maladies ou d’épuisement. Autour de 300.000 « survivants » furent ensuite massacrés dans des camps syriens.
« Aujourd’hui, tout un travail scientifique -cela fait quarante ans que l’on exhume des documents- a permis d’établir ces faits. Le génocide arménien n’est donc pas un génocide oublié, reprend Laurence van Ypersele. Par contre, il est non reconnu. Par la Turquie, pour des raisons évidentes. Mais aussi par l’Australie et les Etats-Unis. Les pays européens reconnaissent quant à eux le génocide, mais sans plus. On ne peut pas dire qu’ils fassent preuve d’un courage chevaleresque sur le sujet. L’important électorat turc explique cette mollesse... »
A l’aube de la commémoration du centenaire du génocide, les attentes des Arméniens (d’Arménie et de la diaspora) sont donc énormes concernant la reconnaissance du génocide, de la part de la Turquie et d’autres pays. D’autant plus que la reconnaissance du génocide de 1915 est plus que symbolique, puisqu’il pèse encore de tout son poids sur les relations entre l’Arménie et la Turquie. La frontière entre les deux pays est totalement fermée depuis 1994 ; l’Arménie, en conflit avec l’Azerbaïdjan pour le contrôle de la région du Haut-Karabagh, subit un blocus turc (la Turquie soutient l’Azerbaïdjan)...
L’année dernière, pour le 99e anniversaire du massacre, Recep Tayyip Erdogan, le président turc, avait déclaré : « Nous souhaitons que les Arméniens qui ont perdu la vie dans les circonstances qui ont marqué le début du XXe siècle reposent en paix et nous présentons nos condoléances à leurs petits-enfants. » La déception qui avait suivi sa déclaration sera probablement à nouveau de mise cette année. Un signe ? Le programme prévu par Ankara pour les commémorations du 24 avril (lire ci-dessous)...
Ankara préfère commémorer la bataille des Dardanelles