RTBF.be – 16/04/2015
La chronique de Robin CORNET - Génocide arménien
La Turquie immédiatement rejeté la résolution votée mercredi par le parlement européen qui lui demande de reconnaître le génocide des Arméniens. Pourquoi a-t-elle autant de mal à affronter ses démons du passé ? La Turquie n'est, en tout cas, pas la seule à éviter la confrontation avec son histoire.
Le sujet est de moins en moins occulté mais le génocide des arméniens reste un grand tabou en Turquie.
Ankara ne nie pas qu’il y a eu des massacres de grande envergure il y a un siècle. Dans les années 20, certains responsables de ces massacres ont d'ailleurs été condamnés. Mais ce que la Turquie rejette, c’est l’idée que ces violences étaient planifiées par le parti révolutionnaire au pouvoir à la fin de l'empire Ottoman et qu’il y avait une véritable volonté d’exterminer la communauté arménienne.
Si la Turquie en parle aujourd’hui un peu plus librement, ce n’est que depuis une quinzaine d’années et grâce à des intellectuels qui l’ont parfois payé cher. En avril 2014, Recep Tayyip Erdogan qui était à l'époque Premier ministre, a présenté des "condoléances aux petits-enfants des Arméniens" tués en 1915.
Pourquoi est-ce toujours aussi sensible ?
Parce que la Turquie moderne, la république laïque fondée par Atatürk en 1924, s’est bâtie sur des terres d’où avaient été chassés les Arméniens et avec des cadres de l’ancien régime. Parce qu'elle s’est imposée en s’appuyant sur un nationalisme turc très fort, incarné par des héros de l’époque pour supplanter les clivages entre communautés. Dans cette logique d'harmonisation, la propagation de l'Islam a été favorisée.
Aujourd’hui encore, tout cela influence la lecture de l’Histoire. Le drame des Arméniens est, par conséquent, peu connu et peu enseigné. Le premier colloque organisé à Istanbul sur le génocide arménien ne date que de 2008. Face à ce passé traumatique, il y a eu une forme d’amnésie collective.
La Turquie n’est pas la seule à avoir une mémoire sélective
Il est toujours difficile de prendre conscience de la responsabilité de son pays dans les pages sombres de l'histoire. Il n’y a qu’à voir, chez nous, la façon dont a évolué le discours sur la colonisation. Aujourd'hui encore, les massacres et humiliations subis par les Congolais restent relativement peu enseignés en Belgique. On est encore surpris de voir que Léopold II est présenté comme un tyran dans des manuels d’histoire anglo-saxons.
Même chose pour la France face à l'Algérie. Ce n’est qu’en 2012 que François Hollande a officiellement reconnu les "souffrances" infligées à l'Algérie, sans prononcer formellement des "excuses". La Turquie a beau jeu de reprocher à la France de lui faire la morale avant d'avoir balayé devant sa porte.
On pourrait aussi parler de notre regard sur la Seconde Guerre mondiale. Du temps qu’il a fallu pour prendre conscience de la façon dont certaines autorités avaient activement collaboré à la déportation de 25.000 juifs de Belgique (en 2008, le documentaire "Modus Operandi" d'Hugues Lanneau a remarquablement montré le rôle de plusieurs municipalités dans ces déportations mais la collaboration belge est rarement mise en évidence).
En France, en ce moment, il y a une polémique sur l’architecte Le Corbusier qui fait l’objet d’une expo à Beaubourg qui ne dit pas qu'il fut un admirateur des nazis (ce que beaucoup ignore) et qu'il a passé, pendant l’occupation, un an et demi à Vichy.
Il n’est jamais facile se confronter à ses fantômes. Aucun peuple ne peut facilement admettre avoir été, à un moment, du mauvais côté de l’Histoire.
Robin Cornet