Huffington Post - 27 mai 2015

Les Blogs :  Jan Varoujan, Directeur de la revue Europe&Orient

En avril dernier, en pleine commémoration du Génocide des Arméniens, Emir Kir, un homme politique belge, s'est fait remarquer par son absence sur les bancs socialistes du Parlement bruxellois, lors de la minute de silence en mémoire des victimes du Génocide des Arméniens de 1915 (Medz Yeghern). Pour rappel, ce député d'origine turque conteste dans ce cas précis l'utilisation du terme "génocide ".

Or selon Elio Di Rupo, président des Socialistes francophones, la position de son parti sur la question est "sans aucune ambiguïté". En effet, les Socialistes francophones dont pris l'initiative en 1998 de faire adopter une résolution parlementaire reconnaissant le génocide des Arméniens, laquelle demandait au gouvernement turc de le reconnaître à son tour. Beaucoup de bruit politicien pour rien Interrogé,

Elio Di Rupo précisait à l'agence Belga qu'Emir Kir serait convoqué par le secrétaire général du parti afin de lui demander des explications quant à son absence. De son côté, Laurette Onkelinx, présidente de la Fédération bruxelloise du PS, avait elle aussi annoncé vouloir convoquer les députés régionaux d'origine turque pour mettre les points sur les i et leur rappeler la position du PS.

Tout ceci finalement s'est cependant au soldé par un simple blâme par le truchement d'un communiqué ambigu, mi chèvre-mi chou, marque de fabrique des politiciens experts dans l'art de l'esquive: " Dénoncer une attitude est important. Désamorcer une colère ou un conflit, amener à comprendre l'autre, l'est tout autant. Le PS a décidé de faire l'un et l'autre"... A ainsi souligné M. Mahieu, dans un communiqué diffusé après la rencontre.

Emir Kir n'est pas à sa première manifestation aussi négationniste qu'intempestive. Déjà en mai 2004 (quelques mois avant le début des négociations d'adhésion entre l'Union européenne et la Turquie) il intentait un procès pour diffamation contre l'association "Suffrage Universel" animée par deux journalistes, Mehmet Köksal et Pierre-Yves Lambert. Il s'agissait d'articles et d'enquêtes dans lesquels Kir était dénoncé en tant que négationniste. Notamment parce que celui-ci avait participé à une manifestation dont le thème était particulièrement évocateur: " Défends la Patrie - Rejette les allégations de génocide". Emir Kir ne pouvait évidemment pas ignorer le caractère purement négationniste de cette manifestation, organisée par des citoyens d'origine turque, puisque ces slogans apparaissaient sur les tracts et affiches parrainés par les publicités de plusieurs dizaines d'entreprises turques.

Au passage, il est intéressant de noter que pour la Turquie actuelle, qui normalement ne devrait pas se sentir responsable du génocide de 1915 perpétré par les seuls Jeunes-Turcs, le négationnisme est considéré comme un moyen de défense de la patrie ! Étrange conception et curieuse forme de nationalisme chauvin !

En novembre 2005, le Tribunal de Première Instance de Bruxelles a débouté de sa plainte le Secrétaire d'État bruxellois Emir Kir. L'ambiguïté de la position d'Emir Kir met en lumière celle de la Belgique Au demeurant, le communiqué du Parti socialiste francophone, tout en commençant par évoquer clairement un "génocide", devient par la suite beaucoup plus ambigu lorsqu'il s'agit de la position d'Emir Kir qui "à l'instar de la position officielle du gouvernement belge et donc de la Belgique [E. Kir] reconnaît et déplore totalement cette tragédie humaine".

Commentaire de la communauté turque belge qui éclaire cette position: "L'ambiguïté de ce passage a le mérite de souligner l'ambivalence même de la position de la Belgique qui, en tant qu'État, n'a jamais reconnu officiellement cette 'tragédie humaine' comme un génocide."

Les valeurs européennes ne peuvent pas être à géométrie variable

En résumé, ces politiciens sans vision historique ni envergure, qui ont peur de "froisser" certains segments de leur électorat, ne pensent qu'à très court terme, leur horizon se limitant à celui de leur mandat et à son éventuel renouvellement.

Pourtant ces "politiques" devraient apercevoir qu'en niant le Génocide des Arméniens, la Turquie qui aujourd'hui exporte son négationnisme en Europe, ne remette pas seulement en cause la mémoire du million et demi de morts arméniens, mais la mémoire collective de l'humanité tout entière... soufflant de cette façon sur les braises d'une barbarie mal éteinte: ces derniers mois l'on a pu voir se multiplier des actes et d'outrancières déclarations négationnistes de la part non seulement des Turcs, mais aussi des Azéris! Le repli devant cette offensive orchestrée contre nos valeurs est-il la bonne attitude?