LaLibre.be  Par Frédéric Chardon - 08 juillet 2015  

L’Arménie et la Turquie se sont livrées à un bras de fer en Belgique ces dernières semaines. De multiples sources politiques belges confirment les pressions que les représentants de ces deux pays ont exercées sur la classe politique belge. En cause, la reconnaissance officielle par la Belgique du génocide arménien commis par l’Etat turc au début du XXe siècle.


Il s’agissait pour les deux camps d’influencer le contenu final de la résolution de la majorité fédérale - approuvée mardi matin en commission parlementaire, avant un vote final en plénière ce jeudi peut-être - devant consacrer cette reconnaissance.
Pour rappel, le Premier ministre Charles Michel avait pris tout le monde de court en reconnaissant, à la Chambre, en mai dernier, la réalité historique de ce génocide. Il restait aux députés de la Chambre à finaliser puis adopter formellement le texte de la résolution. L’opposition y est elle-même allée de ses propres propositions de résolution.

 

Discrets contacts diplomatiques

Mais en coulisses, une discrète diplomatie s’activait… "Les Turcs mais aussi les Arméniens ont contacté tous azimuts les politiciens belges dans à peu près tous les partis , note un élu du Parlement fédéral. Ils ont tenté d’orienter au maximum le contenu des différentes résolutions sur la table. Les Arméniens ont poussé pour que le texte qui serait finalement adopté par la Chambre soit le plus dur possible vis-à-vis de la responsabilité de la Turquie. Il y a, en toile de fond, les demandes de dédommagements financiers que les Arméniens pourront réclamer à l’Etat turc. Je ne peux pas en fournir la preuve, mais on m’a aussi rapporté que des pressions ont été exercées du côté turc sur des PME belges."

La pression d’Europalia

Au sein du gouvernement fédéral, on confirme également "en off" les pressions ou, à tout le moins, les démarches proactives de la diplomatie arménienne et turque : "L’ambassadeur belge en Turquie a été convoqué par les autorités locales il y a quelques semaines déjà pour se faire taper sur les doigts" , explique une source bien informée. "Les Turcs sont furieux et la pression est d’autant plus forte qu’Europalia 2015 (festival international qui présente tous les deux ans en Belgique l’essentiel du patrimoine culturel d’un pays) est consacré à la Turquie justement… Un timing malheureux."

Tout de même, un député s’exprime officiellement sur ce lobbying. Il s’agit de Georges Dallemagne (CDH). C’est lui l’auteur de la proposition de résolution émise par les humanistes à la Chambre. "Comme les Affaires étrangères et une série de parlementaires, j ’ai, en effet, été contacté par les Turcs et par les Arméniens , confie-t-il sans ambages. Il y a eu un peu moins de contacts avec les diplomates turcs qui sont très fâchés par ma proposition de résolution. Tout le contraire des Arméniens qui, eux, sont heureux de mon texte. Des contacts que j’ai pu avoir, je sais que les Arméniens sont outrés par le contenu du texte de reconnaissance du génocide approuvé par la majorité. Le texte de la majorité dédouane la Turquie du génocide dès le premier paragraphe… L’ambassadeur d’Arménie était choqué par ce texte."

Pas que de l’Histoire

Selon Georges Dallemagne, la résolution de la majorité pourrait être nuisible à des négociations très actuelles : "Les chrétiens arméniens veulent que l’Etat turc rende 3 000 églises qu’il avait confisquées. Il y a une procédure judiciaire en cours actuellement. Et la résolution de la majorité à la Chambre sur la reconnaissance du génocide pourrait donner des arguments à la Turquie dans cette procédure. Les Turcs pourraient s’en prévaloir pour dire qu’on reconnaît en Belgique que les dirigeants actuels ne sont pas responsables du génocide."

En effet, lors des débats en commission, mardi matin, l’opposition PS, CDH et Ecolo a laissé entendre que la Belgique était passée à côté de l’opportunité de voir la Chambre reconnaître solennellement le génocide arménien.