LaLibre - Guy Duplat - 11 octobre 2015

La belle Villa Empain, à Bruxelles, en architecture Art Déco, marie les univers de deux grands artistes d’origine arménienne.

C’est la contribution de la Villa au 100e anniversaire du génocide arménien.


La Villa Empain appartient à la Fondation Boghossian du nom de cette grande famille d’origine arménienne qui n’a cessé d’aider la diaspora arménienne sur le plan social et culturel. Elle soutient ainsi le pavillon de l’Arménie à la Biennale de Venise qui a reçu cette année le Lion d’or.
On y retrouve le grand artiste Sarkis et son univers à la fois poétique et conceptuel qui entre en conversation avec toutes les formes d’art et d’histoire. Cette année à la Biennale de Venise, Sarkis, né à Istanbul et dont les parents étaient des rescapés du génocide, représente la Turquie, un choix audacieux et judicieux.

Rencontre entre cinéma et poésie
Né en 1938, installé à Paris depuis 1964, influencé par Jozef Beuys autant que par le cinéma, Sarkis a voulu se confronter à la Villa Empain à l’univers du cinéaste Sergueï Paradjanov, né à Tbilissi en 1924, mort en 1990, qu’il n’a jamais connu mais avec qui il se sent d’intenses affinités.
Egalement d’origine arménienne, le réalisateur vécut en URSS et s’est fait connaître par son film "Les chevaux de feu" et par son chef-d’œuvre, "Sayat Nova" (1968), consacré au poète arménien. Film somptueux, poétique à la manière des films de Pasolini et Tarkovski. Paradjanov était une personnalité forte, exubérante, qui fut emprisonnée pour son homosexualité.
La Villa Empain permet de découvrir son univers de plasticien avec ses collages et ses poupées faites d’objets les plus divers et qu’il présentait comme ses "films en raccourcis" quand, privé de caméra, il les réalisait en prison.

Cabinets de curiosités
Dès l’entrée, on découvre une installation typique de Sarkis avec six moniteurs diffusant des extraits du film "Sayat Nova" et recouverts de kilims "pour tenir les films au chaud", dit-il.
Sarkis a voulu jouer avec l’architecture du lieu, demandant de la vider de tout rideau et décor. A l’arrière, il a placé une vitrine de 25 m de long sur laquelle il a déposé ce qu’il appelle ses "Ikones" (il y en a 150).
Ce sont des cadres en bois glanés partout dans toutes les cultures. Il utilise aussi bien un cadre ottoman du XVIIIe Siècle en nacre et bois qu’un cadre d’église orthodoxe du XIXe ou un cadre Jugendstil. Et il place au centre de ceux-ci des œuvres minimalistes : des empreintes digitales de couleur, des petits objets trouvés, des aquarelles, des gouttes de cire fondue, des photos.
Comme dans ses riches cabinets de curiosités personnels qu’il montre aussi, Sarkis procède par "assemblages", jette des ponts en reliant des signes chargés d’Histoire, ou ouvre à des fulgurances poétiques.
A Venise, son installation "Respiro" est un arc-en-ciel de néons colorés renvoyant à un nuage d’empreintes digitales. On retrouve aussi tout au long du parcours à la Villa, ses phrases en néon déclinées avec des photographies, tout un univers qui dialogue avec celui de Paradjanov.

Sarkis avec Paradjanov, Villa Empain, Bruxelles, jusqu’au 24 janvier