Par : EurActiv.fr avec Agences - 18/07/2016
Les ministres européens des Affaires étrangères vont inviter le président turc Recep Tayyip Erdogan à agir dans le respect de la loi et des droits de l’homme, après le coup d’État manqué de la semaine dernière, mais n’ont guère de moyens de pression sur ce partenaire stratégique.
Une position commune doit être adoptée à l’issue d’un petit-déjeuner de travail à Bruxelles en présence du secrétaire d’État américain John Kerry, qui partage les craintes de ses homologues européens au sujet de la réaction d’Ankara.
Le rôle primordial de la Turquie dans la lutte contre les djihadistes syriens et dans la maîtrise des flux migratoires seront au centre des discussions. Ce qui devait être un conseil de routine consacré aux conflits libyen et ukrainien, à l’immigration en provenance d’Afrique et aux prétentions territoriales chinoises, s’est transformé en réunion de crise en raison des événements survenus coup sur coup en fin de semaine dernière, à commencer, dans l’ordre chronologique, par la formation accélérée du gouvernement britannique, désormais dirigé par Theresa May.
Après avoir observé une minute de silence, les ministres des Affaires étrangères de l’UE réfléchiront aux moyens à mettre en œuvre pour améliorer leur coopération en matière de lutte antiterroriste.
Enfin, il sera donc question du coup d’État manqué de vendredi en Turquie, qui a donné lieu à une vaste purge dans les rangs de l’armée et de l’appareil judiciaire.
« Les valeurs ne comptent pas tant que ça »
John Kerry, attendu à 08h00 par ses homologues européens avec lesquels il doit passer deux heures, a assuré dimanche à Luxembourg que l’événement n’avait pas affecté les opérations contre l’EI, malgré la paralysie de la base turque d’Incirlik, d’où décollent une partie des avions américains et allemands de la coalition.
Jean-Marc Ayrault s’est néanmoins interrogé dimanche sur la « fiabilité » de la Turquie dans la lutte contre le mouvement djihadiste. « Il y a une part de fiabilité et une part de suspicion, il faut être sincère », a reconnu le chef de la diplomatie française sur France 3, ajoutant que le soutien exprimé à Erdogan ne devait pas être considéré comme un « chèque en blanc ».
Les « Vingt-sept » auront fort à faire au cours des trois prochains mois pour finaliser l’accord conclu en mars avec Ankara, qui, outre le renvoi des migrants arrivés en Grèce, prévoit le versement d’une aide de six milliards de dollars pour les 2,7 millions de réfugiés syriens accueillis en Turquie, la relance des négociations d’adhésion à l’UE et l’exemption de visas pour les Turcs désireux de s’y rendre pour de courts séjour.
Pour obtenir sa signature, les Européens ont dû mettre en sourdine leurs critiques du traitement de la minorité kurde ou des entorses répétées à la liberté d’expression, mais l’exemption de visa reste problématique. Pour la mettre en oeuvre, Bruxelles exige une réforme de la législation turque antiterroriste, ce que le gouvernement a exclu. Il y sera sans doute encore plus réfractaire après le coup d’État.
La mesure doit en outre être approuvée par un Parlement européen très attaché au respect des droits de l’homme. Le gouvernement turc a menacé de laisser les migrants reprendre leur route vers l’ouest si l’UE ne respecte pas ses engagements.
« Il n’y a pas de réelle obligation pour le président turc de renoncer à sa mise au pas de la justice, des médias et du reste », estime Marc Pierini, ancien ambassadeur de l’UE à Ankara désormais membre du cercle de réflexion Carnegie. « Le réflexe politique de l’UE sera toujours de parler des valeurs, mais les valeurs ne comptent pas tant que ça », ajoute-t-il, sous-entendu face aux enjeux de la coopération turque.
Liste de personnes à arrêter
En Turquie, l’échec du putsch de vendredi soir a provoqué une réaction violente de la part des autorités, qui ont placé en détention près de 3.000 militaires putschistes, allant du simple soldat aux généraux, ainsi qu’un nombre équivalent de juges et de procureurs.
« On a au moins l’impression que quelque chose avait été préparé. Les listes sont disponibles, ce qui laisse penser que cela était préparé pour servir à un moment ou un autre », a déclaré le commissaire à l’élargissement Johannes Hahn. « Je suis très préoccupé. C’est exactement ce que nous redoutions », continue le commissaire qui, de par ses attributions, s’occupe de la candidature de la Turquie à l’UE.
Federica Mogherini, la haute Représentante de l’Union européenne pour la politique étrangère et de sécurité commune, a demandé pour sa part au gouvernement turc de ne pas prendre de mesures qui contreviendraient à l’ordre constitutionnel. « Nous avons été les premiers(…) durant la tragique nuit, à dire que les institutions légitimes devaient être protégées », a-t-elle déclaré à la presse au Conseil à Bruxelles.
« Nous disons aujourd’hui que l’État de droit doit être préservé dans le pays », a-t-elle ajouté en estimant que le pouvoir turc n’a « aucun prétexte pour prendre quelque mesure qui éloignerait le pays de ce cap ».