Crescendo Magazine. Par Bruno Peeters. 31/01
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« Ce qui me tenait le plus à coeur, c’était d’exprimer, à travers la musique, la tragédie vécue par Spartacus à l’époque esclavagiste, son généreux élan, son exploit historique au nom de la liberté des opprimés. » Voilà ce que déclarait Aram Khatchaturian à un journal soviétique, en 1958, peu après la première de ce qui allait devenir l’une de ses partitions les plus célèbres.
Selon Robert Matthew-Walker, spécialiste du compositeur, il n’en existe pas moins de cinq versions différentes, de l’originale, en 4 actes, créée en 1956 au Théâtre Kirov, à celle dite « Bolchoï III », en 3 actes, créée, elle, à Moscou en 1968.
Cette dernière version, chorégraphiée par Youri Grigorovitch, est précisément celle qu’a reprise, à l’occasion des 90 ans du danseur, le Ballet Vlaanderen, seule maison au monde (avec le Bayerisches Staatsballett) pouvant la représenter. Elle centralise l’intérêt sur les deux protagonistes masculins, Spartacus et le général romain Crassus, chacun contrepointé par leur alter ego féminin, l’esclave Phrygia et la courtisane Aegina.
La mise en scène peut paraître conventionnelle à nos yeux du XXIème siècle, mais elle marche. Il faut bien se rendre compte qu’à cette époque, Grigorovitch innovait en profondeur. L’oeuvre était analysée pour elle-même, pour ses qualités dramatiques intrinsèques, et non plus en vertu des canons de Staline, mort en 1953. C’est ainsi qu’il devint le spécialiste des grands ballets classiques, toujours honoré aujourd’hui, comme on le voit, même si cette approche, il est vrai, aura sans doute étonné certains habitués locaux.
Autre « nouveauté », Spartacus concentre l’attention, non plus sur une héroïne (Odette/Odile, Juliette, Cendrillon), mais sur le danseur masculin, le leader des révoltés. Deux prestigieux solistes du Bolchoï participaient au spectacle anversois, Ivan Vassiliev (Spartacus) et Anastasia Stashkevitch (Phrygia). Les Britanniques Jonah Cook (Crassus) et Nancy Osbaldeston (Aegina), ont aussi brillé tous les deux : le quatuor de solistes était parfait, tout comme l’ensemble du corps de ballet, constamment sollicité.
Certains moments pouvaient prêter à sourire, bien sûr, et les soldats romains en jupette, casque en plastique et flamberge au vent, émargeaient du pur péplum années 1960. Et alors ? Tout fonctionnait à la perfection, jusqu’au Requiem final (lequel inclut un bref choeur).
Le Brussels Philharmonic, sous la direction énergique et colorée de Karen Durgaryan, a brillé de mille feux, et je m’en voudrais de ne pas citer l’ensemble des vents, très présent, les vaillants trombones, et le pupitre des percussions, qui a même droit à un terrible solo ! Après 120 minutes de spectacle, et une destinée flamboyante, le corps de Spartacus vaincu est élevé et montré à tous : le héros devient mythe.
Bruno Peeters Anvers, Stadsschouwburg, le 29 janvier 2017