Armenews - Par Ara Toranian - 08/11
Dans un éditorial publié le 14 octobre dans The Times, le journaliste Dominic Lawson pose la question : « Essayez d’imaginer, si vous le pouvez, l’Allemagne intervenant militairement dans un différend entre Israël et les Palestiniens en envoyant des mercenaires se battre contre l’État juif ». Difficile en effet.
Pourtant c’est ce que fait l’État turc qui est à la manœuvre dans la tentative de nettoyage ethnique des Arméniens d’Artsakh déclenchée le 27 septembre.
L’heure n’est sans doute pas encore venue de faire le bilan de cette agression qui vise à apporter une « solution finale » à la question du Haut-Karabagh. Mais le moment est en revanche arrivé de s’interroger sur les conditions qui ont rendu cette aberration possible. D’en dénoncer les responsables, ceux qui en portent la faute politique, ceux qui, par leur soutien ou par leur complaisance, ont encouragé, ouvertement ou tacitement, la coalition Aliev-Erdogan, à nourrir ses rêves génocidaires avant de passer à l’acte.
En ce qui concerne l’agressivité de la Turquie, les fautifs doivent être d’abord recherchés du côté de l’Otan et des États-Unis. Ces entités ont fait grandir le monstre qui échappe aujourd’hui à tout contrôle. C’est Washington qui n’a cessé de choyer son cher allié turc, de le financer, de l’armer, jusqu’à en faire la deuxième force de l’Otan. Ce sont les États-Unis qui l’ont envoyé jouer les gendarmes dans la région. Un rôle d’exécutant auquel Ankara s’est plié, jusqu’à ce qu’il dispose, avec l’ère Erdogan, des moyens de s’émanciper d’une tutelle qu’il méprise, et de pouvoir s’installer, enfin, à son compte.
Un statut plus conforme à ses fantasmes, alimenté par la nostalgie de l’ancienne domination ottomane. Ainsi, dès qu’il s’est cru en capacité de voler de ses propres ailes, l’enfant gâté de l’Amérique s’est retourné contre elle. Comme l’atteste, entre mille exemples, son rôle ambigu à l’égard de Daech, jusqu’à l’affaire des missiles achetés à la Russie. Ce qui n’empêche toutefois pas Donald Trump d’afficher sa proximité avec son « ami » Erdogan. Une situation ubuesque qui avait conduit Macron à dénoncer la « mort cérébrale » de l’OTAN. Conséquence : ce sont les jeunes de vingt ans qui meurent sous les coups du panturquisme, au seul motif qu’ils sont Arméniens sur leurs terres.
Dans le registre inépuisable de la duplicité aveugle avec la Turquie, l’Europe n’est pas en reste, elle qui a fermé pendant des années les yeux sur ses turpitudes tout en lui faisant miroiter une place au sein de ses institutions. Pitoyable comportement qui se retourne aujourd’hui contre elle en Méditerranée. Et qui menace de la miner de l’intérieur avec les bombes à retardement qu’a posées Erdogan chez un certain nombre de ses membres à travers les succursales de l’AKP qui tentent d’instrumentaliser les immigrations locales au profit d’Ankara.
En revanche, en ce qui concerne l’Azerbaïdjan, ce sont plutôt les manœuvres russes et israéliennes qui sont en train de remporter la palme du cynisme, en particulier à l’égard des Arméniens. Ces deux pays ont en effet été les principaux fournisseurs d’armes à Bakou, même si Moscou est également le premier pourvoyeur de matériel militaire à l’Arménie. Mais comment analyser ce double jeu d’une puissance qui a noué une alliance stratégique avec Erevan ?
Les géopoliticiens expliquent qu’il s’agirait pour elle d’exercer son contrôle sur l’Azerbaïdjan qu’elle ne veut pas voir filer vers la Turquie. Et sa neutralité affichée dans le conflit serait un moyen de laisser ses deux partenaires s’épuiser mutuellement dans la guerre, afin qu’ils soient toujours plus dépendants d’elle. Un beau scénario machiavélique qui est en train de faire de Vladimir Poutine l’arbitre des inélégances, le Maître d’un jeu morbide. Et dont les Arméniens font, bien entendu, les frais.
Que dire par ailleurs de la place que tient Israël dans ce tableau désolant, avec la vente de ses armes high-tech à l’Azerbaïdjan ? Tel-Aviv a fait de ce pays son principal allié dans la région, au nom de ses besoins énergétiques et de ses plans contre l’Iran. Mais ces intérêts géostratégiques justifient-ils que l’on donne les moyens au régime Aliev de tuer tous les jours plus d’Arméniens ? Et ce, alors que l’État hébreu avait déjà vu son crédit moral entamé à leur égard, avec entre autres sa non-reconnaissance du génocide ? Une lâcheté visant à ne pas contrarier la Turquie, paraît-il. Même si Ankara voue ce pays aux gémonies, chaque jour qu’Allah fait !
Dieu merci, la diaspora juive, en particulier en France, a affiché sa solidarité avec les Arméniens du Haut-Karabagh. Mais l’attitude de ces « justes », aussi courageuse et louable soit-elle, n’aura, hélas, pas infléchi le cynisme du gouvernement Netanyahou qui devra ajouter à son bilan, sa responsabilité dans les crimes perpétrés en Artsakh.
Triste monde en vérité, qui ferait désespérer du genre humain, n’était l’héroïque résistance de nos jeunes soldats qui, en luttant à un contre dix, écrivent au prix d’incalculables sacrifices, l’une des plus poignantes pages de l’histoire des combats pour la liberté. Merci à eux. Honte aux autres.
par Ara Toranian le dimanche 8 novembre 2020