France Culture - Le Cours de l’Histoire Xavier Mauduit - 02/12

Ecouter (51min) : https://www.franceculture.fr/haut-karabagh-aux-origines-du-conflit

Le Haut-Karabagh, peuplé majoritairement d'Arméniens, proclame son indépendance en 1991, mais cette région montagneuse, au sud du Caucase, est convoitée par l’Azerbaïdjan voisin. Elle n’en est pas moins arménienne par son histoire, sa culture et son peuplement.

En 1826, Jacques-François Gamba fait paraître Voyage dans la Russie méridionale et particulièrement dans les provinces situées au-delà du Caucase, fait depuis 1820 jusqu'en 1824. En plus d’être voyageur, Jacques-François Gamba a été consul de France à Tbilissi, la capitale de la Géorgie. Il raconte que « la province du Karabagh se compose de plaines et de plusieurs chaînes de montagnes. Dans les plaines, la chaleur est insupportable pendant trois mois de l'année. Alors la population entière se retire dans les montagnes avec ses troupeaux. Les princes et les seigneurs y ont des habitations. On donne aussi au Karabagh le nom de Chouchak, qui est aussi celui de sa capitale ».

Qu’est-ce que le Karabagh, cette enclave rebelle en marge des empires, la Russie au Nord, la Perse au Sud, puis l’URSS et l’Iran ? Comment la volonté d’échapper à toute domination impériale nous éclaire sur l’histoire de l’Arménie ? (Xavier Mauduit)

En 1921, le Haut-Karabagh est rattaché, malgré sa population majoritairement arménienne, à l’Azerbaïdjan. Si cette décision émane des instances soviétiques, elle est l’héritage de pratiques territoriales anciennes. Depuis le XVIe siècle, politique de la terre brûlée, redécoupages administratifs et déplacements de population furent autant de stratégies mises en œuvre par les empires successifs pour freiner toute tentation séparatiste dans cette région.
Enclave rebelle aux marges de l’URSS, le Karabagh ne se résout ni à la perte de sa souveraineté ni à son rattachement à l'Azerbaïdjan.

C’est à la faveur des discours réformistes de la perestroïka et de la remise en question du centralisme soviétique que les aspirations indépendantistes du Haut-Karabagh prennent une ampleur nouvelle, jusqu’à l’éclatement d’un conflit armé en 1988. Comment le cas du Haut-Karabagh éclaire-t-il les conflits inter-ethniques qui déchirent l’Arménie du XXe siècle ? Dans quelle mesure la lutte pour échapper à toute domination impériale est-elle fondamentale pour comprendre ce qui se joue aujourd’hui en Arménie ?

Avec nous aujourd’hui pour répondre à ces questions Claire Mouradian, historienne, directrice de recherche émérite au CNRS et enseignante à l’EHESS où elle assure le séminaire “Le Caucase entre les empires, XVIe-XXIe siècles". Spécialiste de l’histoire de l’Arménie, ses recherches portent sur les politiques et les pratiques impériales à l’égard des nationalités en Russie, URSS et dans l’empire ottoman ainsi que sur les sorties d’empires. Elle a publié de nombreux ouvrages, parmi lesquels De Staline à Gorbatchev : histoire d'une république soviétique, l'Arménie (Ramsay, 1990) ou encore L’Arménie (Presses Universitaires de France, collection “Que sais-je ?” réed. 2013).

La Russie fait ses premiers pas au Caucase dès le XVIe siècle, on oublie un petit peu cette tentative de présence et de pénétration très ancienne. Elle a mis cinq siècles à conquérir le Caucase et encore, ça se discute puisqu'il y a régulièrement des insurrections et des velléités d'autonomie (...) Cet intérêt de la Russie pour la région est un intérêt défensif, protéger ses premiers acquis, mais aussi d'aller plus loin et de rentrer dans les échanges, la communication.  Le début de la conquête du Caucase ou de la pénétration russe est contemporain de la conquête du Nouveau Monde. La Russie s'inscrit aussi dans ce grand ensemble, quand on parle des marges on se focalise sur la notion de marge et on oublie qu'elles s'inscrivent dans une histoire plus globale. (Claire Mouradian)

Sons diffusés :
• Archive - 25/02/1963 - Extrait de l'émission Heure de culture française - Geneviève Johannet parle du Caucase et des russes.
• Extrait du film documentaire "Arménie 1988" (mars 1989), Antenne 2, réalisé par Kérope Bagla, conseillère scientifique : Claire Mouradian.
• Lecture par Olivier Martinaud d'un texte du capitaine T.F. Poidebard, représentant de la Mission militaire française au Caucase en Arménie (26/05/1920).
• Lecture par Olivier Martinaud du poème Impromptu du poète arménien Hovhannès Chiraz (1915-1984).

INTERVENANT Claire Mouradian
L'ÉQUIPE
Production: Xavier Mauduit
Production déléguée : Maïwenn Guiziou
Avec la collaboration de : Odile Joëssel, Marion Dupont, Anne-Toscane Viudes
Réalisation : Milena Aellig, Eric Lancien