France Inter - 19/01

Nous voici plongés au cœur d'une amitié que l'auteur entretint, durant son adolescence, en Sibérie, avec Vardan, issu d'une petite communauté de familles arméniennes persécutées dans l'URSS des années 1970. Andréï Makine rend très subtilement hommage à son ami disparu, comme à l'histoire et la mémoire de l'Arménie.

Le livre présenté par Jérôme Garcin

Andreï Makine est né en Sibérie en 1957. Il est devenu bilingue à 4 ans grâce à une vieille dame française qui lui a inspiré le fameux "Testament français". Il est arrivé à 30 ans à Paris, où il a obtenu l'asile politique. Dans ce roman, Makine relate un épisode de sa jeunesse. Il a 13 ans, nous sommes dans les années 1970, il vit dans un orphelinat en Sibérie, où il prend la défense de Vardan, un adolescent devenu bouc émissaire, qui habite le quartier dit du Bout du Diable, où il va être accueilli par une petite communauté de famille arménienne dont les proches sont jugés pour subversion séparatiste et complot anti soviétique, et bientôt condamnés au goulag.

C'est une façon, pour Makine, de rendre hommage à ces Arméniens dont il dit que "ce sont des copeaux humains, des vies sacrifiées sous la hache des faiseurs de l'Histoire" et un hommage, évidemment, à son ami disparu.

Pour Jean-Claude Raspiengeas, c'est "un des meilleurs livres de l'auteur"

"On avait été très sévère avec son livre précédent. Celui-ci est un de ses meilleurs, c'est un grand roman sur l'exil, les destinées échouées. Il parle magnifiquement bien de la façon dont les exilés reconstituent, avec très peu de choses, le monde autour d'eux et comment ces Arméniens, qui viennent se coller à une prison terrible dans laquelle certains d'entre eux ont été enfermés, reconstituent un peu d'harmonie entre eux.

Il y a un éloge de l'humanisme et la façon dont il le fait est intéressante parce qu'il dit qu'on peut toujours parler de partage et de fraternité, qu'ils se parfument à ça tout le temps. Il dit que ça doit être jugé que sur une seule valeur aujourd'hui : savoir sauver quiconque bascule dans la détresse et le retenir de glisser vers la chute. Il a des expressions très belles comme celle-ci : en Sibérie, il dit que "beaucoup n'ont pour biographie, que la seule géographie de leur errances". L'allusion au génocide arménien est faite en un demi-paragraphe.
Le secret et le pivot du livre tiennent sur une demi-page et sont renvoyés au conflit Arménie/Azerbaïdjan".

"Je vois ce livre comme un mirage et une sorte de Grand Meaulnes sibérien."

Michel Crépu a aimé et s'est surpris lui-même

"C'est très étrange car j'avais détesté le précédent. Là, j'ai été mystérieusement et étrangement touché par quelque chose qui est assez beau, une atmosphère de fin de journée sibérienne.
On ne sait pas très bien pourquoi je n'ai finalement pas détesté ce livre".

Patricia Martin touchée par un roman qu'elle a trouvé magnifique

"Il y a une beauté dans une noirceur absolue, un désespoir total. La vie humaine n'a plus aucune valeur. Ce gosse est orphelin, il apprend la douceur d'une famille à travers celle de son copain Vardan, qui arrive comme une lumière, qui lui montre la voie à suivre, qui lui montre le ciel, qui lui fait prendre conscience de ce que c'est qu'être fier de son peuple.
Il y a des passages absolument magnifiques, comme par exemple l'histoire de cet oisillon qui va être la seule fierté d'une vie. Il a une telle façon de faire vivre cette mémoire dont il fait partie !
À chaque fois, toute émotion inutile est tenue à distance : le pire est inscrit entre les lignes et dans le non-dit".
C'est un magnifique roman !

Arnaud Viviant salue un livre "magnifique et d'une humanité extrêmement touchante"

"C'était magnifique. Il y a une vraie économie de moyens, c'est un livre très court. C'est une manière, justement, de ne pas tomber dans l'apitoiement quant au génocide arménien qui est traité en 10 lignes. C'est tout à fait autre chose. C'est une histoire d'amitié entre deux jeunes adolescents. C'est tout ce qui concerne leur petit monde, leur chasse au trésor, qui est très beau.
Il y a comme une lumière de fin de journée qui nimbe tout le récit, emprunt d'un classicisme certain, mais en même temps intemporel et très séduisant.
Ce n'est pas du tout un livre triste, mais, au contraire, un livre plein d'une humanité en train de disparaître, extrêmement touchante".

https://www.franceinter.fr/livres/l-ami-armenien-le-masque-la-plume-profondement-touche-par-le-dernier-livre-d-andrei-makine