EUROPALIA-TURQUIE ET LE CENTENAIRE DU GENOCIDE DE 1915

par Dogan ÖZGÜDEN - Agence info-turk 28/11/2014

http://www.info-turk.be/435.htm#Europalia

Les médias belges du 26 novembre 2014 ont fait écho favorable à une conférence de presse tenue à Bruxelles au sujet de Europalia-Turquie qui se tiendra dans la capitale européenne en 2015. La Libre Belgique, par exemple, a donné l'information sous le titre de "L’édition 2015 du festival Europalia mettra la culture turque à l’honneur". Quant aux médias turcs, même ceux qui sont contre le pouvoir islamiste actuel, ils applaudissent la tenue de cette conférence de presse en présence du ministre turc de la Culture, Omer Çelik, comme une victoire du lobby turc dans la capitale européenne contre les diasporas anatoliennes qui se préparent à commémorer le centenaire du génocide des Arméniens et Assyriens en 2015.

Pourquoi?

Parce que le ministre turc les aurait pris à contre-pied en disant: “L’Anatolie est le berceau d’innombrables civilisations, un musée à ciel ouvert. Nous voulons faire connaitre la culture anatolienne dans son ensemble, complète et non divisée en compartiments et la culture arménienne en fait partie. Comme les veines d’un seul corps.” Quelques expositions, peut être quelques représentations musicales seront, selon eux, suffisantes pour montrer au public européen que les veines arménienne, assyrienne, grecque de ce corps sont toujours aussi vivantes que la veine turco-islamique dans la Turquie actuelle.

Qu'en est-il du génocide et de la déportation des millions d'Arméniens, Assyriens et Grecs d'il y a 100 ans? Pourquoi il n'y a aujourd'hui que quelques dizaines de milliers de descendants de ces peuples autochtones d'Anatolie, peuples qui y existaient déjà avant l'arrivée des Turcs dans "ce berceau d'innombrables civilisations"?

L'Anatolie d'aujourd'hui est-elle vraiment "un musée à ciel ouvert" ou bien "une cimetière à ciel ouvert" d'innombrables civilisations dont les créateurs ont été exterminés ou déportés il y a un siècle. Qu'en est-il de l'oppression et de l'extermination des peuples kurdes et yézidis? Koçgiri, Seyh Said, Agri, Dersim et Roboski? Qu'en est-il de la tyrannie sunnite sur la communauté alévie?

Quand s'est élevée lors de la conférence une question à propos du centenaire du génocide de 2015, le président d'Europalia International Jacobs de Hagen a dit qu’il s’agit d’une simple coïncidence de dates et rappelle qu’Europalia se veut “apolitique”.

Apolitique?

Alors que toutes les forces démocratiques du monde se préparent déjà à la commémoration du 100e anniversaire du premier génocide du 20e siècle, les dirigeants néo-ottomans et islamistes de la Turquie persistent toujours dans la négation de ce crime honteux commis par l'Empire ottoman sur les terres qui étaient la mère patrie des Arméniens, Assyriens et Grecs.

Le ministre des affaires étrangères de ce régime, Mevlut Cavusoglu, a déclaré récemment au Parlement turc qu’il est impossible pour la Turquie de reconnaître le génocide arménien qui est attribué à leurs ancêtres et à la nation turque. (armenews.com, 7 novembre 2014)

D'ailleurs, les dirigeants d'Europalia ne doivent-il pas tenir compte de la situation des droits de l'Homme et de la liberté d'expression dans un pays qui sera choisi comme partenaire du festival? Il suffit de feuilleter les derniers rapports d'ONG internationales comme Amnesty International, Reporters sans frontières, Human Rights Watch, Fédération Européenne des Journalistes et Comité pour la protection des journalistes.

Et les déclarations rétrogrades et scandaleuses du président de la République? (Le président Erdogan, roi de la polémique, AFP, 27 novembre 2014) Honorer un tel régime par l'organisation d'Europalia, est-ce vraiment un acte apolitique? N'oublions pas que la décision du Conseil d'administration d'Europalia International du 23 mai 2013 de consacrer Europalia 2015 à la Turquie avait déjà suscité des réactions comme ce fut le cas en 1995.

En effet, comme souligné par la Libre Belgique du 28 mai 2013, Europalia avait dû interrompre en mars 1995 l’organisation de l’édition 96 consacrée à la Turquie en raison du "manque de respect de la Turquie dans le programme de la diversité culturelle, en ce compris la dimension kurde". Voir également l'article de Dogan Özgüden intitulé "Europalia '96: festivités de la honte?", Le Soir, 23 décembre 1994.

Après la nouvelle attribution d'Europalia à la Turquie, le président de la Communauté arménienne de Belgique, Me Michel Mahmourian, avait lancé l'appel suivant: "Il est évident que le choix de l’année 2015 n’est dû ni au hasard ni à l’initiative de la partie belge. Si inviter la Turquie est déjà en soi discutable – rappelons qu’en 1995 le gouvernement fédéral s’est opposé à l’invitation de la Turquie pour des raisons politiques - nous ne pouvons pas ne pas réagir au choix de l’année 2015.  Réagissons donc, mais pas seuls 2015 sera le centenaire du génocide des Arméniens mais aussi du commencement de l’anéantissement de tous les chrétiens de l’Empire ottoman. L’occasion nous est ainsi donnée de réunir à nous les Grecs et les Assyro-chaldéens, et même de solliciter le soutien d’autres minorités ex-ottomanes soucieuses de se démarquer de la position officielle turque." (http://www.info-turk.be/419.htm#Europalia)

Malgré cet avertissement, les autorités belges persistent d'honorer un régime négationniste sans aucune réserve.  Or, elles pouvaient exiger pour la tenue du festival que la Turquie reconnaisse solennellement le génocide de 1915 et s'engage à la réparation de toutes les conséquences de ce crime contre l'humanité. Ce qui n'a pas été fait par les dirigeantes belges est fait en Turquie par les forces démocratiques malgré tous les risques.

Un dernier exemple:

La députée kurde Sebahat Tuncel du Parti pour une société démocratique (HDP) a soumis au Parlement turc un projet de loi exigeant la reconnaissance du génocide de 1915 ainsi que des massacres commis contre les Kurdes et les Alévis lors de la période républicaine.  Tuncel invite le président de la République à présenter des excuses à la tribune du Parlement aux victimes de ces crimes contre l'humanité. Elle exige également que les archives d'Etat turc soient ouvertes, que le 24 avril soit proclamé comme un jour de commémoration et que des dommages moraux et matériels soient indemnisés par l'Etat. Les autorités belges et les dirigeants d'Europalia ne doivent-ils pas faire preuve de courage comme cette femme politique kurde, toujous menacée par des forces réactionnaires, et exiger la reconnaissance du génocide de 1915 par l'Etat turc avant la mise en œuvre du programme du festival?

S'ils se veulent vraiment "apolitique"!