Par Jean-Marie Wynants

Au début du XXème siècle, la population arménienne subit une succession de massacres menant au génocide de 1915.

Ce sont des images calmes, souvent souriantes, montrant des femmes, des enfants, des musiciens en tenue traditionnelle… A priori, rien de grave ne surgit de ces photographies réalisées à partir de 1906 en Anatolie et dans les régions avoisinantes.

Pourtant, on sait aujourd’hui que ces moments paisibles vont être suivis d’événements terribles et de ce qui restera dès 1915 comme le premier génocide du XXe siècle. Le massacre de plus d’un million d’Arméniens, organisé par le gouvernement jeune-turc de l’Empire Ottoman.

« Alors qu’en 2015, la Turquie sera le pays à l’honneur lors d’Europalia, nous voulions aussi rappeler ces événements terribles », souligne Diane Hennebert, de la Fondation Boghossian qui s’est associée au Musée de la photo et à la Photothèque de la bibliothèque orientale de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth pour monter une exposition autour de ces événements.

Le parcours proposé n’a rien en commun avec les images de la « grande guerre » que l’on peut voir un peu partout à l’occasion de multiples expositions et commémorations. Ici, pas de tranchées, pas de combats, pas de cadavres. Les photos du génocide arménien sont très rares et ne sont pas au cœur de cette collection. On découvre plutôt les images prises avant et après ces moments tragiques. L’avant montre la vie quotidienne, l’après met en évidence une série de personnalités qui vont tenter de reconstruire une nation arménienne, de fédérer différents mouvements, d’empêcher que le monde oublie et passe à autre chose.

Ces images ne sont pas l’œuvre de reporters envoyés sur place pour témoigner. Elles ont été prises par des missionnaires jésuites installés dans la région dès 1881. Leur but : répandre la foi chrétienne. Et pour cela, les missionnaires s’appuient notamment sur un réseau d’écoles et d’hôpitaux. Une organisation efficace mais qui nécessite des fonds pour lesquels on fait appel à la générosité des fidèles.

Jusque-là, les missionnaires envoyaient des témoignages écrits pour sensibiliser les futurs donateurs. Mais la photographie vient tout bouleverser. Elle s’avère bien plus efficace que de longs discours pour montrer à quoi sert l’argent récolté. Les Jésuites réalisent donc de grands portraits de groupe des enfants fréquentant leurs écoles. Beaucoup se contentent de prendre quelques photos qui seront ensuite publiées dans les revues catholiques en Europe. Mais certains ont une vraie passion pour cette pratique, comme Antoine Poidebard, dont on découvre ici plusieurs images et qui, par la suite, inventa la photographie aérienne d’archéologie en Syrie.

Conservés dans les très riches collections de la Bibliothèque orientale de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, ces clichés sont exposés pour la première fois en dehors de celles-ci. On n’y découvre pas d’images tragiques témoignant du génocide mais bien ces petits moments suspendus où la vie s’écoule simplement.

Réalisées dans un but qu’on qualifierait aujourd’hui de « marketing », elles prennent à un siècle de distance une autre épaisseur, une autre signification. On ne peut en effet s’empêcher en voyant ces enfants rassemblés devant les objectifs des missionnaires de penser que bon nombre d’entre eux disparaîtront bientôt dans les massacres. Quant aux larges groupes photographiés après le génocide, on sait qu’il s’agit là d’orphelins ayant perdu leur famille dans ces mêmes massacres.

Les Arméniens : images d'un destin Du samedi 13 décembre au dimanche 17 mai. Musée de la photographie Avenue Paul Pastur, 11 6032 Mont-sur-Marchienne. www.museephoto.be