"La communauté vit à l'heure d'Ankara"
Info-turk.be - Dogan Ozguden - 23 mai 2015
Le Soir du 23 mai 2015 a consacré une page entière sous titre "Les Belgo-Turcs prennent le mégaphone" au rassemblement négationniste turc qui aura lieu le même jour à Bruxelles.
Dans la même page, une colonne a été réservée à quelques avis critiques au sein de la communauté turque.
La communauté turque est généralement considérée comme plus fermée que d’autres populations d’origines immigrées, notamment les Belgo-Marocains.
C’est particulièrement le cas à Bruxelles, où le gros de la communauté est concentré dans les communes de Saint-Josse et Schaerbeek.
«La plupart des gens viennent de la même ville, Emirdag, à l’intérieur des terres, constate Altay Manço, directeur scientifique à l’Institut de Recherche, Formation et Action sur les Migrations (IRFAM). A l’origine, c’est une population rurale, peu qualifiée. Bien sûr, les jeunes générations ont de plus en plus accès aux études supérieures mais restent largement sous-représentées. »
« Les garçons quittent souvent assez tôt l’école pour soit s’orienter vers des cursus professionnalisant mal côtés, soit travailler dans l’entreprise familiale », explique Cicek Ali, travailleur social à Saint-Josse. On remarque une très grande cohésion sociale, garantie par de fortes solidarités familiales et un tissu associatif extrêmement développé et « chapeautant » le quotidien. «Donc sur le plan politique si quelqu’un tire dans un sens, les autres vont suivre », commente un chercheur.
« La discussion est très difficile »
Chaîne de télévision turque, journaux turcophones, fréquentation de mosquées turques (dont les deux tiers sont rattachés à la Diyanet: les Affaires religieuses turques) : « La communauté vit à l’heure d’Ankara », résume un ancien responsable associatif qui préfère garder l’anonymat. Et est biberonnée au discours gouvernemental. Alors que le débat – même circonscrit et encore balbutiant – existe désormais en Turquie sur la question d’une reconnaissance du génocide, le sujet demeure tabou au sein de la communauté en Belgique. «La discussion est très difficile. Soit on est un traître à la patrie, soit on est traité de communiste ou autre fantaisie. »
«La grande majorité suit la propagande d’Ankara et pas seulement sur le génocide, assure Dogan Özgüden, figure de l’extrême gauche et fondateur de l’agence Info-Turk. Certains intellectuels ont pris ouvertement position, mais nous sommes minoritaires. » Les voix dissonantes existent, donc, à la marge. Ou plutôt les opinions dissonantes. Car beaucoup préfèrent témoigner sous couvert d’anonymat. «Je me suis déjà prononcé publiquement et j’ai reçu des dizaines d’appels. Cela me fatigue d’avance », assure l’un. «Bien sûr je pense qu’il faut reconnaître le génocide et jeter les ponts vers les autres communautés. Mais je préfère rester éloigné de tout cela maintenant », s’excuse l’autre.
Que penser de l’initiative de la plate-forme belgo-turque tournée vers l’apaisement? «Il ne s’agit pas seulement d’une question d’historiens ou de juristes, prévient Altay Manço. Il y a un travail psychosocial à faire: faire le deuil des personnes disparues et faire le deuil aussi d’un passé sans tache. Ce travail a commencé. La boîte de Pandore a été ouverte. Et le gouvernement turc y a contribué, même si la période électorale actuelle marque un repli. »