Notre pays est aux prises avec une crise institutionnelle sans précédent. Il est également traversé par des courants contraires dont les bases idéologiques n’apparaissent plus clairement.
Les derniers rebondissements de ce qu’on appelle déjà « l’affaire De Wever contre Mertens » sont l’occasion de réfléchir à ce qui se joue pour tous les citoyens en ce moment si délicat de notre histoire. En l’occurrence, il ne s’agit ni d’un conflit entre personnes, ni d’une opposition entre néerlandophones et francophones, ni même encore entre gauche et droite. En revanche, nous sommes tous concernés par l’enjeu : démontrer la capacité de notre pays à faire face à son Histoire, à en tirer les enseignements et à soutenir les principes démocratiques sur lesquels repose la légitimité de l’Etat.
A la demande du Sénat, le Rapport du CEGES (Centre d’Etudes et de Documentation Guerre et Sociétés contemporaines) a eu le mérite, 60 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, de rendre publique la collaboration de rouages de l’Etat avec le pouvoir occupant. Le Sénat prévoyait encore un débat parlementaire à partir de ces conclusions scientifiques. Il est grand temps que ce débat ait lieu, et qu’il porte ses fruits pédagogiques. Apprendre du passé, c’est sortir de l’ornière de la condamnation, du manichéisme primaire, pour entrer dans la sphère de la transmission. Que transmettre outre la mémoire des faits ? Précisément la conscience des enjeux qui sont, à l’époque comme aujourd’hui, toujours au cœur des évolutions politiques, sociales et des mentalités. Quels sont les principes à la base de nos législations ? Comment les défendre, et pour quel projet de société ? Qu’est-ce, précisément, que le négationnisme ? Nier un génocide est-ce uniquement nier le fait ou bien le terme vaut-il aussi pour tout qui minimise ce qui prépare systématiquement le génocide et le rend possible ? S’agit-il de limiter les responsabilités à celui qui – in fine – pousse sur la gâchette, frappe avec sa machette ou contribue au fonctionnement des chambres à gaz ? C’est en cela que le procès intenté à Pierre Mertens, aura, s’il a lieu, valeur d’exemple, et qu’il est de notre devoir de le soutenir, non seulement en tant que personne, mais dans le combat qu’il doit mener en tant qu’accusé.
Les querelles actuelles, qui prennent naissance dans le rapport conflictuel que notre pays entretient avec son passé, en dépassent le cadre, même si elles sont symptomatiques.
La place de l’humain est-elle encore centrale, quelle que soit sa couleur de peau, son origine culturelle ou ses convictions personnelles ? Tout être humain a-t-il droit à la reconnaissance de son parcours, de son histoire, des difficultés qu’il a traversées ou y aurait-il une mémoire sélective qui ferait deux poids deux mesures ?
Toutes ces questions doivent trouver des réponses au cours d’un débat collectif.
En conséquence, il devient urgent que des mesures soient prises pour permettre les nécessaires travaux de mémoire et les devoirs d’histoire qui pourront faire échec à l’instrumentalisation de celle-ci. Conformément au décret « Mémoire » de la Communauté française de mars 2009, il faut créer des outils de transmission adaptés à la culture d’aujourd’hui et aux moyens de communication modernes.
Ces revendications ont été portées jusqu’ici sans succès. Le moment est arrivé de prendre la mesure de ce défi, car connaître et analyser le passé, c’est cela qui donne à une démocratie les moyens d’évoluer et de rester vivante.
Signataires :
Pour le Comité de Coordination Juives de Belgique, Maurice Sosnowski, Président.
Pour le Comité des Arméniens de Belgique, Michel Mahmourian, Président.
Pour l’Association des Rescapés du Génocide contre les Tutsi du Rwanda, Eric Rutayisire, Président.
Pour les Territoires de la Mémoire ASBL, Dominique Dauby, Présidente.
Pour l’Association pour la mémoire de la Shoah, Eric Picard, Administrateur-délégué.
Pour la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme, Alain Jacubowicz, Président.
Pour S.O.S. Racisme, Dominique Sopo, Président.
Yves Oschinsky, ancien bâtonnier du barreau de Bruxelles.
Edouard Jakhian, ancien bâtonnier du barreau de Bruxelles.
Claude Schulman, professeur émérite de l’ULB.
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