Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - Dans sa chronique hebdomadaire, Harut Sassounian, éditeur de The California Courier (Los Angeles) revient sur les protocoles signés entre la Turquie et l’Arménie le 10 octobre 2009 et se penche sur le jeu de la diplomatie turque pour ne pas les faire aboutir. En effet, les responsables du ministère [turc] des Affaires étrangères se sont vantés de leur succès à décevoir les Européens sur un autre accord : “La Turquie a signé un protocole avec l’Union Européenne sur la question de Chypre. Que s’est-il passé ? Quatre ans après, est-ce que la Turquie a ouvert ses ports et ses aéroports aux navires et aux avions chypriotes ?” Sassounian note aussi que dans le numéro du 25 octobre du journal turc en langue anglaise, Today’s Zaman, le journaliste Ercan Yavuz a cité des douzaines d’exemples d’accords signés par la Turquie, mais jamais ratifiés après des années : 146 accords passés (dont un, il y a 26 ans) avec 95 pays attendent toujours l’approbation du Comité des Affaires étrangères du Parlement. Le Collectif VAN vous soumet la traduction de cette chronique hebdomadaire en anglais de Harut Sassounian.


Les responsables turcs admettent jouer avec les protocoles

De Harut Sassounian
Édité par The California Courier
Éditorial de Sassounian du 19 novembre 2009


Chaque jour qui passe, les jeux que les responsables turcs jouent avec les protocoles deviennent de plus en plus manifestes et ridicules !

Durant les longs mois de négociations, j’ai prévenu plusieurs fois que les responsables turcs n’étaient pas sincères dans leur intention annoncée publiquement d’ouvrir la frontière avec l’Arménie et d’établir des relations diplomatiques. En agissant comme s’ils cherchaient à se réconcilier avec l’Arménie, les dirigeants turcs voulaient simplement prévenir toute reconnaissance future du génocide arménien par des pays tiers, arracher le maximum de concessions à l’Arménie sur l’Artsakh (Karabagh), et bloquer la possibilité de toute future revendication territoriale en Turquie.

Tout d’abord, la Turquie a fait traîner les négociations jusqu’à quelques jours avant le 24 avril, pour empêcher le Président Obama de tenir sa promesse de reconnaître le génocide arménien. Les protocoles ont finalement été signés le 10 octobre, pour s’assurer que le Président Sargsyan aille bien en Turquie assister au match de football opposant les équipes nationales des deux pays.

Entre-temps, les dirigeants turcs ont plusieurs fois annoncé qu’ils n’ouvriraient pas la frontière et que leur Parlement ne ratifierait pas les protocoles tant que l’Arménie n’aurait pas restitué l’Artsakh à l’Azerbaïdjan -- bien qu’une telle exigence ne figure pas dans les documents signés. Plus d’un mois s’est écoulé depuis la signature des documents à Zurich, mais il n’y a aucun signe indiquant que le Parlement turc les ratifiera incessamment.

Juste avant de signer les protocoles, le Président de la Turquie, Abdullah Gül, et le ministre des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu se sont rendus en Azerbaïdjan pour promettre une fois de plus qu’ils n’avaient pas l’intention d’ouvrir la frontière avec l’Arménie tant que l’Artsakh n’était pas restitué à l’Azerbaïdjan.

Comme si ces conditions préalables scandaleuses n’étaient pas suffisantes pour ébranler la confiance des Arméniens dans les protocoles, les responsables turcs n’ont fait aucune tentative pour cacher leurs desseins trompeurs.

Dans son édition du 5 octobre, le journal turc Hurriyet a cité les responsables du ministère des Affaires étrangères à Ankara : “La formation d’une commission historique conjointe et la réouverture de la frontière figurent dans les documents. Cependant, elles ne pourront prendre effet que lorsque qu’une solution aura été trouvée sur la question du Karabakh. Tant qu’il n’y a pas de solution au conflit du Karabakh, ces protocoles ne peuvent être présentés au Parlement. Même s’ils l’étaient, le Parlement ne les adopterait pas. Alors, relax.”

Pour convaincre les Azerbaidjanais que la Turquie n’a pas l’intention de ratifier ces protocoles, les responsables du ministère des Affaires étrangères se sont vantés de leur succès à décevoir les Européens sur un autre accord : “La Turquie a signé un protocole avec l’Union Européenne sur la question de Chypre. Que s’est-il passé ? Quatre ans après, est-ce que la Turquie a ouvert ses ports et ses aéroports aux navires et aux avions chypriotes ?”

Nous avons à présent la preuve solide que ces responsables turcs ne se vantaient pas en vain en indiquant que signer un autre accord ne signifie rien pour eux. Dans le numéro du 25 octobre du journal turc Today’s Zaman, le journaliste Ercan Yavuz a cité des douzaines d’exemples d’accords signés par la Turquie, mais jamais ratifiés après des années ! À ce jour, il existe 146 accords passés avec 95 pays, y compris avec l’Argentine, l’Azerbaïdjan, la Libye, la Slovénie, la Suède et la Syrie, qui attendent toujours l’approbation du Comité des Affaires étrangères du Parlement. Le plus ancien -- un accord signé il y a 26 ans entre l’Irak et la Turquie -- est toujours en attente de ratification au Parlement turc. De nombreux autres accords importants ont été signés depuis 2004, mais ils ne sont toujours pas ratifiés !

Étant donné le passé de la Turquie à ne pas prendre aux sérieux les engagements pris en son nom, le fait que le Parlement turc ne ratifie pas de sitôt les protocoles Arménie-Turquie ne devrait être une surprise pour personne. Bien sûr, en ne ratifiant pas les protocoles, la Turquie briserait sa promesse faite le 31 août de ratifier les protocoles “dans les meilleurs délais”.

De façon intéressante, lors d’une interview récente avec Reuters, le ministre des Affaires étrangères de l’Arménie, Edward Nalbandian, a posé la question : “Pourquoi signer les protocoles s’ils ne seront pas ratifiés?” La réponse est évidente : ce qui intéresse le gouvernement turc c’est de créer une image positive de son pays aux yeux de la communauté internationale en apparaissant désireux d’avoir “de bonnes relations de voisinage” avec l’Arménie, et en réalité sans prendre de mesures concrètes en ce sens.

Les responsables arméniens ont malheureusement tort de croire que la Turquie subirait une pression internationale intense si elle ne ratifiait pas les protocoles. Encore et toujours, la Turquie a prouvé oh combien elle était immunisée contre les pressions exercées par d’autres pays, les États-Unis compris, comme ce fut la cas à la veille de l’invasion de l’Irak, la Turquie ayant refusé que les troupes américaines franchissent sa frontière pour entrer en Irak.

S’ils subissaient une pression extérieure, les leaders turcs en rendraient l’Arménie responsable, en faisant remarquer qu’elle n’a fait aucune concession sur l’Artsakh, rendant donc impossible la ratification des protocoles par le Parlement turc.

Les responsables arméniens ont déclaré à plusieurs reprises que les négociations sur l’Artsakh n’étaient pas liées aux protocoles et que le Parlement arménien ne ratifiera pas les protocoles avant la Turquie, ajoutant que l’accord serait abandonné, si la Turquie échouait à agir “dans les meilleurs délais”.

Il reste à voir si l’Arménie tiendra sa promesse de ne pas faire de concessions sur l’Artsakh ; et si la Turquie refusait de ratifier les protocoles au bout d’un délai de plusieurs mois, est-ce que les dirigeants arméniens auront le courage de déclarer nuls et non avenus les protocoles signés ?

©Traduction de l'anglais: C.Gardon pour le Collectif VAN - 19 novembre 2009 - 07:23 - www.collectifvan.org