Le show est fini…
Les protocoles sont morts !


De Harut Sassounian
Édité par The California Courier
Éditorial de Sassounian du 28 janvier 2010

Le show est enfin terminé ! La communauté internationale ne gobe plus les excuses sans fin que la Turquie avance pour refuser de ratifier les protocoles. Les responsables arméniens, qui croyaient naïvement que la Turquie ouvrirait sa frontière et établirait des relations diplomatiques avec l’Arménie, commencent à remettre en question la sincérité des Turcs et envisagent la probable fin des protocoles.

À présent, commence le jeu des responsabilités ! À qui la faute, si les protocoles ne sont pas ratifiés ? À mon avis, ceux qui sont à blâmer sont les Turcs qui ont trompé la communauté internationale du début à la fin. Les responsables turcs n’ont jamais eu l’intention de poursuivre leurs plans de normalisation des relations avec l’Arménie, qu’ils avaient annoncés publiquement.

Ils s’étaient simplement engagés dans un complot visant à faire obstacle à ce qu’ils pensaient être la promesse officielle du Président Obama de reconnaître le génocide arménien, et à faciliter l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne (UE), puisque l’ouverture des frontières est l’une des conditions préalables pour être membre de l’UE.

Sans prendre une seule mesure positive, la Turquie a créé une fausse impression de réconciliation avec l’Arménie, ce qui a contribué à dissuader le Président Obama d’utiliser le terme de "génocide" dans son allocution du 24 avril. Les responsables turcs ont également réussi à exploiter les protocoles pour générer une publicité mondiale favorable à leur pays.

Au cours de longues et difficiles négociations, la Turquie a exigé qu’en échange de la réouverture de la frontière et de l’établissement de relations diplomatiques, l’Arménie se retire du Karabagh (Artsakh), mette en place une commission internationale pour étudier les faits du génocide, et reconnaisse l’intégrité territoriale de la Turquie.

Suite aux pressions intenses exercées par la Russie, les États-Unis et l’Europe sur les deux pays, l’Arménie et la Turquie ont fait une série de compromis. L’Arménie a accepté avec réticence d’établir une "commission historique" ambiguë, qui n’était pas explicitement liée au génocide.

L’Arménie a également dû accepter une référence, dans les protocoles, à des traités internationaux antérieurs qui entérinaient les concessions territoriales de l’Arménie à la Turquie, mais qui ne mentionnait pas spécifiquement le Traité de capitulation de Kars. De plus, les protocoles contenaient une clause qui demandait la non-intervention dans les affaires intérieures d’autres pays, insinuant que l’Arménie ne devait plus soutenir l’Artsakh, car cela serait interprété comme une ingérence dans les questions de politique intérieure de l’Azerbaïdjan.

Puisque la signature des protocoles le 10 octobre ne satisfaisait pas toutes les exigences de la Turquie, ses dirigeants ont commencé à menacer de ne pas ratifier les protocoles ou de ne pas ouvrir la frontière avec l’Arménie tant que le conflit de l’Artsakh ne serait pas résolu en faveur de l’Azerbaïdjan. En d’autres mots, la Turquie a essayé de compenser les déficiences des protocoles en rendant sa ratification otage de la précondition sur l’Artsakh.

La ratification des protocoles s’est encore davantage compliquée lorsque l’Azerbaïdjan a commencé à menacer son "Big Brother" la Turquie qui envisageait d’ouvrir sa frontière avec son ennemi juré – l’Arménie. Les Azéris voulaient que le blocus turc continue jusqu’à ce que l’Arménie soit obligée de reconnaître la juridiction de l’Azerbaïdjan sur l’Artsakh. La menace azérie d’augmenter le prix du gaz naturel pour la Turquie et de rediriger une partie de son pétrole vers la Russie a rendu les dirigeants turcs encore plus réticents à honorer leur accord avec l’Arménie.

Pour apaiser l’Azerbaïdjan, la Turquie a exigé que la Russie, l’Europe et les États-Unis exercent des pressions sur l’Arménie pour qu’elle fasse des concessions sur l’Artsakh. Cette requête turque est tombée dans l’oreille d’un sourd. La communauté internationale a compris que cette tentative de résoudre simultanément deux questions épineuses – le conflit de l’Artsakh et les protocoles Arménie-Turquie – ne mènerait à la résolution d’aucune des deux !

Comprenant que pratiquement personne hors de la Turquie et de l’Azerbaïdjan ne soutenait leurs exigences sur l’Artsakh, les responsables turcs ont ajusté leur tir sur un autre bouc émissaire : la Cour constitutionnelle d’Arménie. Bien que la Cour ait décidé le 12 janvier que les obligations stipulées dans les protocoles étaient conformes à la Constitution, elle a également émis quelques clarifications et limitations restreignant les interprétations vagues des protocoles faites par le gouvernement turc.

Le Premier ministre Erdogan et le ministre des Affaires étrangères Davutoglu ont effrontément menacé d’abandonner catégoriquement les protocoles, à moins que la Cour constitutionnelle arménienne ne "corrige" sa décision – une tâche impossible selon le droit arménien ! Le Département d’État s’est rapidement mis du côté de l’Arménie, rejetant la revendication turque que la décision de la Cour constitutionnelle contredisait le "sens et l’esprit" de l’accord. Bien sûr, l’intention réelle du Département d’État était d’empêcher le Parlement arménien d’ajouter d’autres réserves aux protocoles au moment de la ratification.

Puisque le Président du Parlement arménien a déjà annoncé qu’il n’entreprendra rien tant que le Parlement turc n’aura pas ratifié les protocoles en premier, la balle est dans le camp dans la Turquie. Les protocoles se couvrent de poussière à Ankara depuis qu’ils ont été soumis au Parlement le 21 octobre 2009.

Les ministres des Affaires étrangères de l’Arménie et de la Turquie ont indiqué dans leur déclaration conjointe en août dernier, que les protocoles devraient être ratifiés dans "un délai raisonnable." Les responsables arméniens ont récemment rappelé à la Turquie cette date butoir assez floue, ajoutant que l’Arménie serait obligée de prendre des contre-mesures non spécifiées si la Turquie ne ratifiait pas les protocoles d’ici février ou mars au plus tard !

À ce moment charnière, ni l’Arménie ni la Turquie ne désirent reculer sur leur position récalcitrante. Si les dirigeants turcs supprimaient l’Artsakh et la Cour constitutionnelle comme conditions préalables, ils prendraient le risque de perdre l’Azerbaïdjan comme allié, mais ils mettraient aussi sérieusement en danger la majorité de leur parti lors des élections parlementaire de l’an prochain.

De même, les dirigeants arméniens ne peuvent ni abandonner l’Artsakh ni "corriger" la décision de la Cour constitutionnelle. Aucune pression extérieure quelle qu’elle soit ne peut donc forcer les deux gouvernements à inverser le cours des choses. C’est pourquoi je pense que les protocoles ne peuvent pas être ressuscités !

La Turquie était très proche de réussir à tromper l’Arménie et le reste du monde avec ces protocoles infâmants. Heureusement, elle a échoué avant d’avoir pu causer des dommages durables aux intérêts de l’Arménie.

©Traduction de l'anglais: C. Gardon pour le Collectif VAN – 28 janvier 2010 - www.collectifvan.org