Discours du Grand Rabbin Albert Guigui

 

Yzkor Elohim: " Que l'Eternel se souvienne de ceux et de celles qui
ont été mis à mort, de ceux et de celles qui ont été tués, qui ont été
égorgés, qui ont été brûlés, qui ont été noyés, qui ont été asphyxiés...."

Yzkor Elohim " Que l'Eternel se souvienne "

Telle est la prière chantée par notre premier ministre officiant que nos
rabbins ont institué pour rappeler la mémoire bénie de ceux et de
celles, morts les mains nues ou les armes à la main, mais tous
condamnés sans recours ni rémission uniquement parce qu'ils étaient
juifs.

Yzkor Elohim " Que l'Eternel se souvienne "

Telle est la prière qui doit constamment nous rappeler que des
hommes et des femmes innocents ont payé de leur vie pour lutter
contre la barbarie nazie.

Yzkor Elohim " Que l'Eternel se souvienne "

Mes chers frères, mes chères soeurs !

Pourquoi célébrons-nous un anniversaire ? Pourquoi faut-il mobiliser
le monde entier pour se souvenir de la libération des camps
d’Auschwitz – Birkenau ?

A cette question posée par d’aucuns, il faut dire et répéter : nous
devons avoir des points de repère. Nous devons arrêter le temps et
marquer certaines étapes de notre existence. Il est important de
nourrir le souvenir.

Auschwitz ! Ce fut un espace, une épreuve, un monde pour lequel les
mots nous manquent. Nous n’avons pas de mots pour penser
l’abandon total, sans espoir de fuite qu’ont connu les déportés

Auschwitz incarne et symbolise un phénomène tout à fait nouveau.

Nouveau par sa vocation : exterminer et non tuer.

Nouveau par l’atmosphère très particulière dans laquelle
l’extermination s’est déroulée : il ne s’agit pas en effet d’un accès
délirant de folie meurtrière, mais d’une oeuvre planifiée, étalée sur des
années, sans émotion chez les bourreaux.

Nouveau par la philosophie du projet : voici un peuple civilisé qui met
tout son génie inventif au service d’une seule idée : traiter des
hommes non pas comme des êtres humains, mais comme des choses.

Nouveau par sa technique. Pour réaliser leur projet, une immense
usine, un immense complexe industriel faisant appel à des techniques
originales : les chambres à gaz, les crématoires.

Nouveau par son caractère désintéressé. L’extermination des juifs ne
représente ni un acte de vengeance ni un acte de guerre, ni un acte de
répression. C’est une oeuvre qui allait même contre les intérêts de
l’Allemagne nazie en guerre. Auschwitz est en quelque sorte un acte
gratuit : supprimer les juifs parce que juifs.

Voilà ce que représente Auschwitz pour nous. Voilà pourquoi
Auschwitz est devenu le symbole de la Shoah.

Mais dans ce silence apocalyptique la voie de certains justes se fit
entendre. Hommage à tous ceux, prêtres, pasteurs, hommes et femmes
sans distinction de culte ou de doctrine qui, en dépit des dangers
auxquels ils se sont exposés ont tenu à se trouver, selon une parole du
Talmud, avec les persécutés et non avec les persécuteurs et ont
apporté à nos coreligionnaires plongés dans la plus affreuse des
épreuves, un soutien moral et matériel dont nous leur serons
éternellement reconnaissants.

Chers frères, chères soeurs !

Des camps de concentration s’élève désormais un puissant appel à la
vigilance et à l’union. Les victimes entassées dans les chambres à gaz
à qui il restait trois minutes de vie quand les portes se fermaient,
trouvaient le temps et la force de graver sur les murs de ces lieux,
avec leurs ongles écorchés : « n’oubliez-pas ».

Malgré le temps écoulé, Auschwitz n’appartient pas au passé.
Auschwitz est à la fois objet d’horreur et interrogation chargée
d’angoisse. Ce qui s’est produit une fois peut se produire à nouveau.
La mentalité nazie est toujours là, tapie dans l’ombre, à la recherche
d’êtres maudits dans lesquels elle pourrait à nouveau s’incarner.

Car Auschwitz vit dans les plans de ceux qui méditent une nouvelle
destruction du peuple juif. Auschwitz revit dès qu’un homme est
maltraité. Auschwitz revit dès qu’un homme est exploité, affamé.

Oui c’est une façon de célébrer la libération des camps que d’appeler à
la fraternité et à la solidarité humaine. Une tâche infiniment lourde
pèse sur chacun d’entre nous et nous serons jugés sur ce que nous
aurons accompli.

Les événements de ces dernières semaines nous donnent des raisons
de croire et d’espérer en l’homme. Quel bel élan de générosité
spontané que celui qui vient d’être fourni par tous les belges pour
aider et soutenir les victimes du tremblement de terre d’Haïti.

Nonobstant cela, la meilleure façon de célébrer la libération des camps
et de cultiver le souvenir est de transmettre et d’éduquer. A présent,
la génération des rescapés s’amenuise. Les maîtres d’écoles primaires
et secondaires, pour la plupart, n’ont pas connu la guerre. La
déportation est entrée dans l’histoire.

Cette banalisation de l’horreur est dangereuse. Elle encourage les
négationnistes. Enseigner la Shoa, la résistance, est simplement apprendre

 à nos enfants à résister au racisme et à l’intolérance.
Enseigner la Shoa, la résistance, c’est leur apprendre à survivre.

Notre grand espoir est que nos jeunes ne doivent plus revivre cela.

 

Le 31 janvier 2010 en la Grande Synagogue de Bruxelles