Compte rendu de l’audience des auteurs présumés de l’assassinat de Hrant DINK, journaliste turc d’origine arménienne, rédacteur en chef du journal AGOS
14ème Chambre Cour d’Assises spéciale d’Istanbul
8 février 2010 (merci de vous reporter aux trois précédents rapports en ligne sur le site de l’Ordre)
A la demande du Bâtonnier Jean CASTELAIN, j’ai assisté à la 12ème audience de la Cour d’Assises spéciale d’Istanbul du 8 février 2010 (14ème Chambre) et ce, pour la quatrième fois.
J’y étais accompagné de Mademoiselle Kee-Yoon KIM, 6ème secrétaire de la Conférence en exercice, de Alexandre ASLANIAN, Avocat au Barreau de Paris et Vice-président de l’AFAJA, Association Française des Juristes et Avocats arméniens, et de Mélinée NAZARIAN, Avocate au Barreau de Bruxelles, mandatée par le Bâtonnier Yves OSCHINSKY. Notons également la présence de Madame Elsa VIDAL représentant REPORTERS SANS FRONTIERES.
Il est rappelé que ce procès des auteurs présumés de l’assassinat du journaliste turc d’origine arménienne Hrant DINK est le plus sensible en Turquie avec le procès du réseau ERGENEKON.
Cette 12ème audience devait être consacrée à l’audition d’un témoin anonyme qui aurait vu le frère de l’un des accusés Yacine HAYAL tirer aux lieu et place du jeune Ogun SAMAST, mineur au moment des faits. En réalité, le témoin anonyme n’aurait pu être joint au motif que les services de police n’auraient reçu aucun ordre du Procureur en ce sens...
Le lendemain du procès, le Président de la Cour a précisé que le témoin anonyme n’avait pas pu se présenter au motif que son interprète arménien n’aurait pas été contacté.
En marge de l’audience se déroulait une manifestation des familles des journalistes assassinés au cours des dix dernières années, au total une dizaine, en sorte que les forces de police étaient surreprésentées et que nous avons été contrôlés à plusieurs reprises devant décliner notre carte professionnelle pour pouvoir intégrer la salle d’audience. Il est rappelé que la salle d’audience est exiguë et que les accusés présents, habituellement au nombre de cinq, étaient au nombre de quinze auxquels se sont ajoutés trois témoins ! qui avaient été logés dans le box des accusés avec lesquels ils ont pu se concerter soulevant ainsi les protestations des avocats des parties civiles.
En effet, ces témoins avaient déclaré auparavant qu’Ogun SAMAST, présumé tireur, leur avait annoncé son intention d’assassiner Hrant DINK et leur avait présenté l’arme du crime. Mais à l’audience, ils se sont rétractés et ce, après qu’un gendarme leur ait permis de discuter librement avec le présumé tireur.
De forts soupçons pèsent sur Ogun SAMAST et le frère de Yacine HAYAL, Osman HAYAL, d’être l’un ou l’autre le tireur. J’insiste sur le fait que l’audience était une audience d’instruction du dossier, étant rappelé qu’en Turquie, devant la Cour d’Assises spéciale, ces audiences ont lieu une fois par trimestre, la prochaine étant fixée au lundi 10 mai. Il s’agit d’audiences d’administration de la preuve qui se déroulent publiquement, Ogun SAMAST, mineur au moment des faits et majeur aujourd’hui, s’accommodant parfaitement de la publicité des débats avec arrogance à l’égard des victimes.
Cela dit, cette audience a été ponctuée par les plaidoiries de certains avocats des victimes suivies des plaidoiries des avocats des accusés qui ont contesté l’idée d’une bande criminelle organisée et indiqué que la victime ne pouvait s’en prendre qu’à elle-même pour s’être heurtée par ses propos notamment sur la reconnaissance du génocide arménien, à des éléments nationalistes.
L’audience a également été consacrée au visionnage d’une bande vidéo dont l’enregistrement concerne la phase qui a immédiatement précédé l’assassinat de Hrant DINK et laisse apparaître une personne suspecte dont les avocats des parties civiles ont souhaité l’identification et l’audition. Notre consœur Fethiye ÇETIN a demandé à la Cour d’intégrer dans la procédure d’enquête concernant Hrant DINK les éléments des dossiers ERGENEKON, de l’assassinat du Père SANTORO et du carnage de Malatya.
Les avocats des accusés ont réclamé la remise en liberté de leurs clients que la Cour a refusée. A l’issue de l’audience, deux avocats se sont mutuellement physiquement agressés. Il est clair que la tension était à son comble, associée à l’exiguïté des locaux surpeuplés et à la longueur des débats qui se sont terminés vers 21 heures.
La poursuite de l’enquête de l’assassinat sur Hrant DINK n’est rendue possible que par l’important travail des avocats des victimes qui développent constamment des demandes d’actes, celle tendant à l’identification du témoin figurant sur la vidéo ayant été acceptée.
La Turquie a de gros efforts à faire en matière judiciaire et rien n’est plus urgent que de mettre en place, comme en France d’ailleurs, une procédure pénale équilibrée et libre de toute pression du pouvoir politique.
Comme à l’accoutumée, nous avons tenu une conférence de presse à l’heure du déjeuner en indiquant que les Bâtonniers de Paris et de Bruxelles, Jean CASTELAIN et Yves OSCHINSKY, mandateraient une délégation pour chaque audience de l’année 2010 pour suivre ce procès de l’assassinat du journaliste Hrant DINK dénoncé comme étant un crime collectif officiel, impliquant l’Etat turc lui-même par son inertie au cours de la période précédant l’assassinat, alors qu’au plus haut niveau de l’Etat, les autorités étaient informées de l’imminence de la commission du crime.
Sur ce point, le chef des services de renseignements de la police a été réintégré par le Tribunal Administratif d’Ankara dans ses fonctions après avoir été limogé pour acte de négligence dans l’assassinat de Hrant DINK.
Enfin, comme il se doit, le Bâtonnier Muammer AYDIN n’a pas cherché à rencontrer la délégation parisienne et belge (il s’agit du quatrième refus), étant précisé que, au mois d’avril dernier, l’Ordre d’Istanbul avait diffusé une lettre en réponse à celle du Bâtonnier Christian CHARRIERE BOURNAZEL s’inquiétant de la venue d’avocats parisiens d’origine arménienne dénoncée comme une ingérence dans les affaires turques.
Nous avons appris depuis que l’auteur de cette lettre était en réalité le professeur de droit pénal Umit KOCOSAKAL.
Qu’il soit dit une fois pour toutes que les avocats des parties civiles se réjouissent de la présence de la délégation parisienne d’ailleurs comme les journalistes démocrates turcs qui considèrent que cette présence est de nature à influer sérieusement sur le cours de l’enquête.
Postérieurement à notre mission, nous avons appris que le site du journal AGOS avait été piraté et que la photographie de Hrant DINK avait été remplacée par celle de Ogun SAMAST.
Je tiens à remercier le Bâtonnier de Paris Jean CASTELAIN pour sa fidélité et son engagement dans la poursuite de la mission ainsi que le Bâtonnier de l’Ordre français de Bruxelles Yves OSCHINSKY pour son indéfectible engagement à nos côtés sans oublier bien sûr le Bâtonnier Christian CHARRIERE BOURNAZEL qui a initié pendant son bâtonnat cette mission d’observation.
Vincent NIORÉ
Membre du Conseil de l’Ordre
Secrétaire de la
Commission Observateurs judiciaires
et liaison avec les ONG
http://www.collectifvan.org/article.php?r=0&id=40599