A quatre ans du centième anniversaire du génocide toujours nié et impuni de 1915, les Arméniens vont-ils à nouveau être confrontés à une tentative d’épuration sur leurs territoires ancestraux ? Dans l’indifférence d’un monde que cette région n’intéresse que dans les strictes limites de sa capacité à l’alimenter en hydrocarbures, une de ses plus anciennes composantes culturelles se trouve en danger. Les Arméniens du Haut-Karabagh qui s’étaient libérés en 1994 de 80 ans d’oppression azéro-soviétiques, sont encore menacés de guerre par l’ex-puissance tutélaire azerbaïdjanaise. Les dirigeants en poste à Bakou entendent en effet bien récupérer cette province arménienne qui leur avait été généreusement octroyée par Staline en 1921. Ils avaient déjà essayé de la maintenir coûte que coûte sous leur domination en 1988, en répondant par des pogroms à Soumgaït, Gandja et Bakou au vote du Parlement de la Région du Haut Karabagh demandant, dans les formes légales de l’époque, son rattachement à l’Arménie. A la sortie de presque 5 ans de guerre déclenchée par Bakou, les Arméniens du Karabagh ont finalement conquis leur dignité d’hommes libres. Ils vivent dans une république qu’ils se sont taillée à leurs mesures : affranchis de toute discrimination et désireux de construire une démocratie. Mais leurs anciens maîtres ne s’avouent pas vaincus. Ils menacent. Et depuis quelques mois, joignant le geste à la parole, ils multiplient les violations du cessez-le-feu signé en 1994. Au motif de récupérer leurs territoires occupés…

Mais de quoi parle-t-on exactement, quand on évoque cette notion ? Historiquement, la tendance lourde dans cette zone située entre la Turquie et l’Azerbaïdjan est au panturquisme et en aucun cas à on ne sait quel expansionnisme arménien. Ces deux pays frères, en particulier dans leur haine de l’élément arménien, ne déclarent-ils pas former “deux Etats pour un seul peuple” ?  Tel est en tout cas leur slogan officiel. Prise dans cet étau, la présence des Arméniens sur cette terre où ils ont toujours vécu pendant 3000 ans s’est réduite depuis un siècle comme peau de chagrin. Ils n’existent plus que sur un dixième des territoires que le traité de Sèvres, signé par les puissances et la Turquie, avait reconnu comme leurs en 1920. Aujourd’hui, la surface de l’Arménie et du Karabagh réunis représente moins de 5% de celle que se sont appropriées manu militari les Etats turcs et azerbaïdjanais. Il n’y a que 3,5 millions d’Arméniens, dont 150 000 vivent au Karabagh contre 72 millions de Turcs et 8 millions d’Azeris. Quant au rapport de forces, il penche en terme quantitatif outrageusement en faveur de Bakou dont le budget militaire, nourrit par la rente pétrolière, équivaut à lui tout seul au budget global et additionné de l’Arménie et du Karabagh. Et pour finir, la Turquie, qui tente aujourd’hui de redorer son blason dans le monde musulman en combattant sous la bannière humanitaire le blocus sur Gaza, s’est invitée directement dans le conflit en exerçant depuis 17 ans un blocus impitoyable contre l’Arménie. Sans doute pour avoir “zéro problème avec les voisins ”, selon le mot d’ordre de sa politique étrangère.

Encerclés et enclavés, ne disposant plus en guise d’ouverture géographique que de deux voies de sorties extrêmement problématiques (une sur la Géorgie, l’autre sur l’Iran), l’Arménie et le Karabagh sont totalement isolés au plan économique. Par voie de conséquence, ils connaissent également une situation difficile sur le plan diplomatique… Tous les grands projets régionaux prennent soin de les contourner. Et en dépit de l’aspect illégitime et illégal de cette situation, tout le monde s’en lave les mains. Idem quand Bakou lance une offensive en provoquant comme le 19 juin dernier 5 morts et 4 blessés. Le pétrole de Bakou pèse plus lourd que le sang arménien.

Voilà le tableau, auquel il faudrait ajouter le génocide des Arméniens en 1915, et le négationnisme d’Etat de la Turquie et du frère azerbaïdjanais. Compte tenu de ces circonstances, on s’imagine bien que la république du Haut Karabagh qui vit aujourd’hui libre ne retournera pas de son plein gré sous la botte azerbaïdjanaise. Conclusion : soit la communauté internationale parvient à dissuader Bakou de recourir à l’usage de la force, soit le sang coulera dans la région. Avec les risques de contamination et les dommages collatéraux qu’une telle situation pourrait créer, y compris pour les intérêts pétrolifères des Etats qui, en se prosternant en permanence devant Bakou et Ankara prennent le risque d’encourager, directement ou indirectement, leurs pires fantasmes de conquête.

Quelques mois avant de décéder en 1989, le prix Nobel de la paix Andréï Sakharov déclarait : « Le problème du Karabagh est une affaire d’ambition pour l’Azerbaïdjan et une question de vie et de mort pour le peuple du Karabagh ». Vingt ans après, cette configuration reste d’une terrifiante actualité.

Ara Toranian
Directeur de Nouvelles d’Arménie Magazine

 

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