Deux documents récents à Istanbul ont apporté de nouvelles informations sur les violations des droits des minorités en Turquie. Les auteurs de ces rapports ont fait des évaluations certes précautionneuses mais exactes, des problèmes auxquels sont confrontées les communautés arménienne, grecque et juive.
Le premier document, en date de février 2011, est intitulé : "Rapport sur les minorités non musulmanes." Il est écrit par trois Arméniens bien connus à Istanbul : Krikor Doshemeciyan, Yervant Ozuzun et Murat Bebiroglu.
L’objectif déclaré des auteurs est de rechercher des solutions aux problèmes des populations des minorités de Turquie, au moment où le gouvernement prévoit de réviser la Constitution afin de renforcer ses chances d’adhésion à l’Union européenne. Bien que les auteurs n’indiquent pas si ce rapport a été soumis aux responsables turcs, les autorités sont indubitablement au courant de son contenu. Le rapport a été posté en turc sur le site basé à Istanbul, hyetert.com. Les points principaux de ce rapport sont présentés traduits ci-dessous :
Les auteurs retracent les difficultés des minorités non musulmanes depuis l’instauration de la République de Turquie en 1923, en tant qu’État monolithique, homogène, basé sur une seule culture et une seule religion. Cette politique a eu de graves conséquences pour les minorités, les forçant à fuir ou à être assimilées.
Les minorités non musulmanes étaient considérées comme des entités étrangères ou des ennemis internes de l’État. Il n’existe pas un seul policier ou officier qui soit membre d’une minorité. Le déplacement en 1934 des juifs de Thrace, l’impôt exorbitant sur la richesse datant de 1942 s’appliquant aux minorités, et les agressions à grande échelle des Grecs d’Istanbul les 6 et 7 septembre 1955, ont eu pour résultat l’appauvrissement de ces communautés et la dévastation de leur culture. Ces politiques discriminatoires et ces attaques brutales ont mené à une baisse significative de la population des minorités en Turquie, passant de 350 000 personnes en 1927 à 80 000 aujourd’hui, alors que le nombre de Turcs a été multiplié par six.
Les auteurs du rapport soulignent que le gouvernement turc a récemment restitué quelques propriétés appartenant aux institutions des minorités, qui avaient été confisquées à partir de 1974. En raison de points contradictoires et de défauts dans la nouvelle loi sur les Fondations des minorités, les biens restitués ne peuvent être utilisés à bon escient, car aucune communauté n’est autorisée à les restaurer.
De plus, le gouvernement a violé les articles 41 et 42 du Traité de Lausanne de 1923, qui obligeait la Turquie à fournir des fonds et des équipements aux minorités non musulmanes, à des fins d’éducation, religieuses et caritatives, et à protéger leurs établissements religieux. Outre le Traité de Lausanne, diverses résolutions de l’ONU et de la Convention européenne des droits de l’homme sont continuellement violées par le gouvernement turc.
L’un des problèmes les plus graves pour les minorités est que le gouvernement turc ne reconnaît pas le patriarcat arménien et le rabbinat juif en tant qu’entités légales. Le patriarcat grec a finalement été reconnu en tant qu’entité juridique l’an dernier.
Un autre problème est la nomination par le gouvernement de vice-directeurs turcs pour surveiller les écoles des minorités, ce qui cause une profonde défiance. La formation de nouveaux professeurs et ecclésiastiques est également devenue impossible en raison de la fermeture des séminaires religieux par l'Etat turc. Les auteurs du rapport demandent que l'on permette aux ecclésiastiques d'enseigner la religion dans les écoles des minorités, comme ils le faisaient précédemment.
En conclusion, les auteurs exhortent les autorités turques à prendre en compte tous les aspects juridiques précités lorsque la nouvelle Constitution “démocratique et moderne” sera rédigée.
Le second document est une interview menée par Méliné Anoumyan du Centre Agounk, avec l’archevêque Aram Ateshian, Vicaire général du patriarcat arménien d’Istanbul, le patriarcat se préparant à célébrer son 550e anniversaire. Selon l’archevêque Ateshian, 67 000 Arméniens vivent à Istanbul, et 3 000 autres résident dans l’intérieur du pays -- 500 à Ankara, 300 à Iskenderoun, 70 à Sepastia, 50 à Malatia et 20 familles à Kharpert. De plus, le Vicaire général a révélé qu’il y a 100 000 Arméniens en Turquie qui ont peur de dévoiler leur identité réelle. Ce chiffre ne prend pas en compte les travailleurs irréguliers en provenance d’Arménie, qui ne sont pas autorisés à se marier et dont les enfants ne peuvent être baptisés par le patriarcat, en raison de leur statut d’illégaux.
L’archevêque Aram Ateshian est satisfait de la restitution ces dernières années, de quelques propriétés confisquées aux Fondations arméniennes. Il a révélé qu’il existe 44 églises apostoliques arméniennes en fonction en Turquie -- 37 à Istanbul, 3 à Iskenderoun, 2 à Dickranagerd, 1 à Mardin et 1 à Gessaria. De plus, il y a 12 écoles arméniennes associées au patriarcat, et les Arméniens possèdent 3 écoles et 10 églises. Un total de 3 000 Arméniens catholiques et 1 000 Arméniens protestants vivent en Turquie.
Il est encourageant de constater qu'au bout de neuf décennies, des responsables religieux et laïcs d’Istanbul ont rassemblé assez de courage pour faire entendre leurs voix, afin de défendre leurs droits civiques violés !
Harut Sassounian
Édité par The California Courier
Éditorial de Sassounian du 3 mars 2011
©Traduction de l’anglais C.Gardon pour le Collectif VAN – 3 mars 2011 – 07:10 – www.collectifvan.org