Le mois dernier, le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a fait  une apparition gênante devant l’Assemblée parlementaire du Conseil de  l’Europe (APCE). 
 
Erdogan a été invité à s’exprimer après les éloges prodigués par  Mevlut Cavusoglu, qui se comportait davantage comme un lobbyiste turc  que comme le président de l’APCE. Cavusoglu est un membre fondateur du  parti au pouvoir l’AKP et membre du Parlement turc. 
 
Dans son long discours, le Premier ministre a fait sans vergogne la  leçon aux députés européens en matière de démocratie et de liberté.  Étant donné le lamentable score de son pays concernant les droits de  l’homme, Erdogan n’aurait pas dû évoquer ces questions ! Affirmant que  l’adhésion de la Turquie était "vitale pour l’Union européenne", il a  qualifié de "stupides" ceux qui s’opposaient à l’adhésion de la Turquie à  l’UE "pour des raisons populistes et artificielles." 
 
Dans une série de déclarations suspectes et exagérées sur les  réalisations de son gouvernement, Erdogan a affirmé que : "La Turquie a  accompli des réformes historiques, particulièrement dans le domaine de  la démocratisation. Le gouvernement a également œuvré à faire  disparaître les restrictions sur la liberté. Les libertés ont été  renforcées cette dernière décennie et de nombreuses questions qui  n’auraient pu être débattues il y a dix ans sont maintenant discutées  librement. Il y a une tolérance zéro pour la torture et les barrières à  la liberté d'expression ont été levées. Certains ont allégué qu'il y a  des restrictions concernant la liberté d'expression, mais c'est faux. La  presse est libre et critique librement quiconque. En Turquie, 26  journalistes ont été détenus ou arrêtés, parce que ce sont des criminels  et non parce qu'ils sont journalistes." Ces paroles incroyables sont  prononcées par un Premier ministre qui n'hésite pas à poursuivre en  justice des journaux qui ont simplement publié une caricature qui lui  ressemble ! 
 
Une fois l’allocution d’Erdogan terminée, Cavusoglu l’a protégé d’un  embarras supplémentaire en n’autorisant qu’une poignée de députés à lui  poser des questions de 30 secondes. 
 
Erdogan fut mécontent lorsque la députée suisse Andreas Gross lui a  rappelé "Le côté sombre de l’histoire turque", lui demandant pourquoi le  lauréat du Prix Nobel Orhan Pamuk avait été poursuivi en justice pour  avoir exercé son droit à la liberté d’expression. 
 
En réponse à la question de la députée Anne Brasseur (Luxembourg)  sur la censure en Turquie, Erdogan a affirmé que "Le judiciaire turc est  indépendant et habilité à mener des enquêtes comme il l’entend." 
 
Armen Rustamyan, président de la Commission des Affaires étrangères  du Parlement arménien, a demandé à Erdogan à quoi cela servait de signer  les protocoles arméno-turcs, si la Turquie n’ouvrait pas sa frontière  avec l’Arménie tant que le conflit du Karabagh (Artsakh) n’était pas  résolu ? 
 
Le Premier ministre a répondu que la Turquie ne pouvait pas laisser  l'Arménie "Usurper les droits de l'Azerbaïdjan" et garderait en effet la  frontière fermée jusqu'à ce que la question du Karabagh soit résolue.  Erdogan s’est ensuite livré à une série de déclarations étranges. Il a  par inadvertance rappelé à son auditoire européen les déportations des  Arméniens par les Turcs pendant le génocide de 1915, en déclarant que  bien que la Turquie puisse le faire, elle n'expulserait pas les 40 000  travailleurs arméniens sans papier ! Il s'est aussi plaint que l'Arménie  ne faisait pas suffisamment pression sur sa diaspora. Le Premier  ministre semble avoir oublié que les millions de Turcs vivant  illégalement en Europe pourraient aussi être expulsés ! Erdogan a  soigneusement évité de répondre à la question de Rustamyan concernant  l’ordre qu’il a personnellement donné de démanteler "la Statue de  l'Amitié arméno-turque" à Kars ! 
 
Le moment le plus gênant de cette session à l’APCE fut la réponse  grossière d’Erdogan adressée à la députée française Muriel  Marland-Militello qui avait posé une question sur la protection des  minorités religieuses en Turquie. Erdogan a insulté cette dame en  indiquant que dans la langue turque une personne ignorante est décrite  comme quelqu’un venant de France, ce qui était clairement son cas ! Il  l’a invitée à se rendre en Turquie, ainsi pourrait-elle connaître son  pays. Au grand dam d’Erdogan, il s’est avéré que Marland-Militello en  savait bien plus sur les minorités en Turquie que le Premier ministre  lui-même. Comme elle l’a révélé lors de la conférence de presse qui a  suivi, Marland-Militello est une descendante d’une famille arménienne  qui a pu s’échapper de Turquie pendant le génocide ! Erdogan a  faussement affirmé que l’Église de la Sainte Croix sur l’île d’Aghdamar  est "à présent ouverte au culte." Le fait est que le gouvernement turc a  converti cette église en musée d’Etat, autorisant la célébration d’une  divine liturgie une fois par an. 
 
Une autre membre de l’APCE, Naira Zohrabyan, ayant été empêchée par  Cavusoglu de poser une question, a poursuivi Erdogan dans le couloir  après la session et s’est frayée un chemin parmi ses gardes du corps  pour lui remettre un album-photo d’enfants arméniens assassinés pendant  le génocide. 
 
Si le Premier ministre peut facilement impressionner ses fervents  partisans dans son pays, il s'est lui-même mis dans l’embarras le plus  total lors de sa prestation à l’APCE à Strasbourg. Au vue de ses  déclarations ouvertement mensongères, on espère qu'Erdogan fera des  apparitions plus fréquentes devant des publics européens : il pourra  ainsi aider à les convaincre que la Turquie n'appartient pas à l’Europe ! 
Harut Sassounian 
Édité par The California Courier 
Editorial de Sassounian du 26 mai 2011 
©Traduction de l’anglais C.Gardon pour le Collectif VAN
http://www.collectifvan.org/article.php?r=0&id=54465 Français
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