Le jésuite italien Paolo Dall’Oglio a fait le choix de vivre en  Syrie, où il a fondé la communauté Al-Khalil, au monastère de Mar  Moussa, il y a une trentaine d’années.  
 
Alors que la Syrie s’enfonce dans la crise, il veut croire à la  possibilité d’une réconciliation nationale, et invite toutes les parties  à faire le choix de la non-violence. 
 
ENTRETIEN P. Paolo Dall’Oglio Jésuite 
 
LA CROIX  : Comment expliquez-vous la crise que traverse la Syrie ? 
 
P. Paolo Dall’Oglio : Le pays est aujourd’hui en proie à deux formes  de tension. La première est de nature culturelle et générationnelle.  Une grande partie de la population syrienne ne veut plus vivre sous une  dictature totalitaire. Ce qui était accepté ou toléré auparavant ne  l’est plus.La seconde tension est de nature confessionnelle et ethnique.  Le régime syrien est construit sur la domination absolue de la famille  Al Assad, issue de la minorité alaouite, associée aux autres minorités  du pays, ainsi qu’à certains « clients » sunnites, pour des motifs de  nature économique ou tribale. Ceux qui détiennent aujourd’hui le pouvoir  ne sont pas prêts à l’abandonner. Mais la capacité de ce régime à aller  au bout de cette « logique du pouvoir » dépasse toutes les limites du  raisonnable. 
 
Pourquoi les membres de la communauté chrétienne soit soutiennent le régime, soit restent neutres ? 
 
Les chrétiens de Syrie sont effrayés par la démocratie, au point  qu’il leur arrive d’accepter que soient commis des actes totalement  contraires aux droits de l’homme. Ce qui s’explique par le souvenir de  la guerre civile du Liban, qui a profondément affecté les chrétiens de  Syrie du fait de la densité des liens familiaux qui existent entre les  deux pays et, plus récemment, de la volonté de certaines puissances  étrangères d’introduire la démocratie en Irak, ce qui s’est soldé par la  persécution des chrétiens irakiens, qui n’ont eu d’autre choix que  l’exil. 
 
Que ce soit au Liban, en Irak, ou même en Égypte aujourd’hui,  l’expérience démocratique se révèle désastreuse pour les chrétiens. 
 
L’instauration de la démocratie en Syrie aurait-elle nécessairement  pour conséquence la marginalisation des chrétiens, voire leur départ ? 
 
C’est ce que beaucoup croient ! La démocratie ne fait pas partie de  l’héritage culturel des chrétiens de Syrie. Elle n’a jamais existé au  sein de l’Église, qui ne fonctionne pas sur un mode démocratique, pas  plus qu’elle n’existe au sein de la famille, qui est régie par le  système patriarcal, ni davantage au niveau de la société, qui ne l’a  jamais connue en tant que telle. 
 
Les chrétiens sont confrontés à un choix difficile : on leur demande  de faire confiance à un système démocratique dont ils ne connaissent  rien, et dans lequel ils risquent de tout perdre. C’est pourquoi la  majorité d’entre eux préfère continuer à soutenir un régime qui les  protège, plutôt que de parier sur des valeurs aujourd’hui abstraites et  théoriques. 
 
Les musulmans sont les premiers à revendiquer l’instauration de la  démocratie en Syrie et à en appeler à la chute du régime dictatorial de  Bachar Al Assad… 
 
Sans doute, mais pour les musulmans de ce pays, la démocratie  signifie la fin de la dictature des minorités, et la reprise en main des  affaires par la majorité sunnite, qui vit aujourd’hui dans une  situation très similaire à celle que connaissait la majorité chiite en  Irak du temps de Saddam Hussein. 
 
Existe-t-il un système politique qui soit adaptable à la complexité de la société syrienne ? 
 
Oui, il s’agirait d’un système dans lequel ce ne serait pas la  communauté à laquelle on appartient qui constituerait l’élément  déterminant, mais bien la capacité – garantie par la Constitution –  d’obliger toutes les composantes de la société à rechercher des  solutions de compromis. 
 
C’est ce que j’ai appelé la « démocratie consensuelle », où toute  décision d’importance devrait être adoptée par un large consensus,  recueillant quelque chose comme 70 % des voix, et pas juste à la  majorité plus une voix. Dans un tel système, le président de la  République devrait avoir un rôle d’arbitre et non de leader. 
 
Bachar Al Assad peut-il encore se transformer en arbitre, ou est-ce trop tard ? 
 
Il reste peu d’espoir. Toutefois, nous ne voulons pas fermer la  porte au dialogue. Le régime peut encore faire le choix d’abandonner la  logique de la violence, en acceptant de perdre une partie de son  pouvoir, s’il ne veut pas tout perdre demain. 
 
Mais le choix de la non-violence doit être accepté par tous. Les  manifestations doivent rester pacifiques, et nous sommes opposés à toute  forme d’intervention militaire étrangère, comme nous condamnons les  sanctions économiques, une violence infligée aux plus pauvres de la  société alors qu’elle épargne les plus riches. 
 
Y a-t-il un espoir d’inverser la tendance de la répression massive du régime ? 
 
Ça sera difficile, car la non-violence ne fait pas partie de la  culture de ce pays. Nous venons d’organiser ici même, une semaine de «  réconciliation ». Nous lançons également un appel à tous les mouvements  pacifistes de par le monde, par exemple le mouvement mondial des scouts  ou les organisations internationales de défense des droits de l’homme,  pour qu’ils offrent leur médiation en vue de permettre aux parties en  conflit de communiquer. 
 
Pour vivre ensemble demain, il faut respecter aujourd’hui la dignité  de l’autre, en tant qu’être humain et à l’exclusion de toute autre  condition. 
 
Recueilli par Julien Couturier (à Damas)  
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