"Ce procès ne se terminera pas comme ça", scandaient les amis de Hrant Dink, à l'extérieur du tribunal, mardi 17 janvier, dans l'attente du verdict. Dans la salle, les avocats de la famille du fondateur et directeur de la revue turque arménienne Agos, tué à bout portant le 19 janvier 2007, ont plaidé une dernière fois leur demande de voir juger les responsables des services de sécurité cités dans le dossier. Sans grand espoir.
Après cinq années d'une enquête ponctuée de nombreuses irrégularités, le juge de la 14e cour d'assises d'Istanbul a condamné à la prison à perpétuité Yasin Hayal, finalement désigné comme le seul complice du jeune nationaliste Ogun Samast, 17 ans à l'époque des faits, condamné en juillet 2011 à près de vingt-trois ans de prison. Ses 17 coaccusés ont été acquittés à l'issue d'une audience qualifiée de "comédie judiciaire", par l'avocate Fethiye Cetin à la sortie du tribunal. "La tradition des assassinats politiques se poursuit en Turquie. Pour nous, l'affaire n'est pas close, nous allons continuer", a-t-elle déclaré.
La justice a donc estimé que MM. Hayal et Samast, originaires de la ville de Trabzon (nord-est), avaient planifié, seuls, le meurtre de Hrant Dink à l'autre bout du pays. Elle n'a pas retenu la charge de "crime en bande organisée", comme le réclamaient, depuis le début du procès, partie civile et défenseurs des droits de l'homme, qui dénonçaient, au vu du dossier, une évidente implication de membres hauts placés dans l'appareil d'Etat.
Erhan Tuncel, un informateur de la police et de la gendarmerie, qui était soupçonné d'avoir pris part au projet d'assassinat, a, lui, été relaxé. Déjà condamné à dix ans de prison dans une autre affaire (le plasticage d'un McDonald's en 2004), il sera même libéré dès le 24 janvier, après avoir effectué seulement la moitié de sa peine. Accusé d'avoir recruté et protégé Erhan Tuncel, le chef des services de renseignements de la police, Ramazan Akyürek, lui, n'a jamais pu être interrogé.
Disparition de bandes vidéo
Au cours de ces cinq années, d'importantes pièces à conviction, comme les bandes vidéo d'une banque voisine du trottoir où le meurtrier a pressé la gâchette, ont disparu. Les relevés téléphoniques de l'autorité des télécommunications n'ont été délivrés qu'en décembre dernier mais n'ont rien révélé. Les proches de Hrant Dink avaient pu, en menant leur propre enquête, retrouver trace d'échanges téléphoniques entre des suspects et cinq autres personnes, à proximité des lieux du crime. Mais aucune suite n'a été donnée. "L'espoir que justice soit enfin rendue à Hrant Dink est mince, a déclaré l'organisation Reporters sans frontières : tout reposera désormais sur la volonté et la capacité du parquet à réunir suffisamment d'éléments pour ouvrir un nouveau procès."
L'assassinat de Hrant Dink avait provoqué en 2007 un sursaut dans la société turque. A Istanbul, plus de 100 000 personnes avaient défilé, le jour des obsèques, aux cris de "Nous sommes tous Hrant Dink, nous sommes tous arméniens." Cinq ans plus tard, ils réclament toujours justice. Dans son édition du 18 janvier, le quotidien de gauche BirGün titrait en "une" : "Ils ont tué Hrant une deuxième fois."
Guillaume Perrier