Dès le début de la contestation, en février 2011, l’attitude des chrétiens de Syrie (7 à 10 % de la population) a suscité commentaires et interrogations. Si le clergé soutient Bachar al-Assad, certains chrétiens ont rejoint les rangs de l’opposition dans l’espoir que la liberté et la démocratie leur assureraient plus de sécurité à terme.
« Le régime bénéficie de l’appui des minorités », affirme Mgr Jeanbart, archevêque catholique melkite de Syrie. Comme pour les alaouites (10 %), ismaëliens, druzes, chiites du pays, les représentants des Églises, souhaitent le maintien de l’ordre existant au risque d’être considérés comme « collabos».
Depuis 1963, le régime al-Assad, lui-même issu de la minorité alaouite, s’assure l’allégeance des communautés non-sunnites, en protégeant leurs droits, en officialisant leurs fêtes, en leur promettant d’être un rempart face à la montée de l’islamisme. Promesse faite à une communauté chrétienne par ailleurs morcelée, éparpillée sur le territoire et en déclin numérique. Un an après son arrivée au pouvoir, Bachar al-Assad, accueillit avec chaleur Jean-Paul II pour une visite de trois jours qui marqua les esprits et vint encore confirmer ces bonnes relations communautaires. Signe de son habileté politique ou de sa perversité, Bachar al-Assad a nommé en août dernier le général Daoud Rajha, un chrétien, ministre de la Défense, et un autre chrétien au poste stratégique de directeur de la Banque centrale…
Au-delà de ces figures symboliques, la majorité des baptisés de Syrie est convaincue que le régime de Bachar est son plus sûr protecteur. Un diplomate français – rapatrié depuis – assistait en début d’année à un baptême à Maaloula, village situé à 60 km au nord de Damas. Il nous a rapporté que « les toasts portés à la gloire de Bachar al-Assad et à la longévité du régime rythmaient tout le déjeuner de fête ».
Le spectre irakien
A contrario, certains chrétiens envisagent la chute du régime comme une aubaine. Isolés dans leur propre communauté, ils se battent au sein de l’opposition parfois pour venger un parent disparu, un frère torturé ou pour défendre leur quartier assailli. Contrairement à l’idée couramment admise, les chrétiens de Syrie ne constituent pas une catégorie très « privilégiée » de la société. Au plan économique, la majorité d’entre eux sont des citadins de la classe moyenne habitant Damas et Alep ; ils tiennent des commerces, des pharmacies, des boulangeries, des garages. Leur niveau d’études est un peu meilleur que la moyenne, ce qui leur assure une prospérité économique relative, mais beaucoup d’entre eux n’ont pas de contact avec l’étranger et n’envisagent pas l’exil. Il y a vingt siècles, Saint Paul s’est converti sur le chemin de Damas. La maison d’Ananie, qui l’a hébergé, se visite toujours dans le vieux quartier de la capitale, le tombeau de Saint Jean-Baptiste est enchâssé dans la mosquée des Omeyyades, les églises font partie du paysage. Les chrétiens se sentent ainsi chez eux sur le territoire syrien.
Le conflit irakien est le véritable spectre qui les hante : tous connaissent le sort tragique de ceux qui, depuis la chute de Saddam Hussein en 2003, envahissent avec leurs valises les paroisses d’Alep et les ruelles de Bab Touma (le quartier chrétien de Damas). Les rumeurs de « chasse aux chrétiens » qui ont suivi l’assaut de Homs, en mars dernier, réveillent les craintes de voir l’harmonie communautaire disparaître. Le « vernis laïque » qui tenait la société jusqu’à aujourd’hui n’a jamais été aussi près de se dissoudre.
Car il faut souligner cette spécificité syrienne : depuis un demi-siècle, l’État, à défaut d’être laïque (1) est séparé des cultes. Ainsi, contrairement au Liban voisin où tout quartier, village, université est signe de l’appartenance religieuse, en Syrie on étudie, on travaille, on vit, sans préciser sa confession. Voilà un acquis de l’histoire dont la plupart des Syriens sont conscients. Auront-ils les moyens de le préserver ?
Guyonne de Montjou
1/La Syrie n’a pas une religion d’État, même si la Constitution impose au président d’être musulman et reconnaît la doctrine islamique comme « une source principale de la législation ».
[25/04/2012]