Hovhannès Guévorguian a 38 ans et vit depuis neuf ans à Paris. Parfaitement francophone et profondément francophile, ce jeune diplomate souriant représente un Etat non reconnu -le Haut-Karabagh, et tente de faire connaître son peuple et sa cause aux dirigeants français. Rencontre sur le vif autour d'un café.

 

Pouvez-vous nous présenter le Haut-Karabagh en quelques mots?

Le Haut-Karabagh est un Etat du Caucase méridional. C'est un territoire un peu plus grand que le Kosovo avec 11.000 km2 et peuplé comme deux fois Andorre avec 150.000 habitants. En 1991, les Karabaghiotes se sont séparés de l'URSS pour constituer une république indépendante. Celle-ci n'est cependant pas encore reconnue sur le plan international en dépit du fait que nous avons su bâtir des institutions d'Etat plus démocratiques et performantes que celles des pays alentours. Le Karabagh vit aujourd'hui d'agriculture et d'exploitation minière. Il s'ouvre également au tourisme culturel grâce à son antique patrimoine architectural chrétien mais des obstacles subsistent à son essor économique...

Que voulez-vous dire ?

Comme je vous l'ai dit, mon pays n'est pas encore reconnu et l'Azerbaïdjan voisin empêche la normalisation de la situation. Lorsque nous avons déclaré notre indépendance en 1991, cela a provoqué une réaction violente assortie de pogroms de la part de l'Azerbaïdjan sous la coupe duquel Staline nous avait placés en 1921 - juste après la soviétisation - afin de créer des frontières artificielles pour mieux asseoir son pouvoir. En 1991, La résurgence des massacres d'Arméniens et de Karabaghiotes par le pouvoir azerbaidjanais a conduit à une guerre de décolonisation que nous avons gagnée en 1994. Depuis, les négociations sont dans l'impasse et le cessez-le-feu sur le terrain devient instable.

Pourquoi ?

(Sourires...) Et bien...comme vous le savez - ça a été souligné à de nombreuses reprises lors du concours de l'Eurovision qui s'est tenu à Bakou - l'Azerbaïdjan est l'un des pires Etats qui soit en matière de démocratie et de respect des Droits de l'Homme. Divers rapports récents ont également pointé les détournements colossaux des pétrodollars azéris par la famille régnante et sa pratique de corruption de responsables politiques européens. Pour le régime Aliev, maintenir une rhétorique et des actions belliqueuses et expansionnistes sur le Karabagh permet de détourner l'attention de la population azérie sur les énormes privations de liberté et sur la spoliation qu'elle subit. Que l'on regarde des indicateurs comme l'indice de développement humain, le classement de Reporters sans frontières ou celui de Tranparency International, l'Azerbaïdjan apparaît partout comme un pays pauvre et corrompu en dépit de l'énorme rente pétrolière qui se déverse dans les caisses du régime. Savez-vous que le film de Sacha Baron Cohen, le Dictateur, a été interdit en Azerbaïdjan - on comprend pourquoi ; finalement, l'indépendance de notre pays peut être vue comme un processus d'émancipation vis-à-vis d'un système dictatorial. Nous espérons que les minorités d'Azerbaïdjan - comme les Taliches - et les Azéris eux-mêmes vivront un jour une transition démocratique similaire. Cependant, la manne pétrolière et gazière qui permet au clan Aliev d'asseoir son pouvoir est en train de se tarir - la production sature déjà - et le régime peut avoir la dangereuse tentation de recourir au conflit armé tant qu'il en a encore les moyens.

La communauté internationale aide-t-elle à la résolution du conflit ?

Théoriquement oui, en pratique pas tant que ça : l'OSCE a mis en place un groupe dit de Minsk - France, Etats-Unis, Russie - en charge d'aider les parties prenantes à la résolution du conflit. Mais l'Azerbaïdjan refuse de nous reconnaître ou même de dialoguer avec nous car il préfère présenter le conflit comme relevant d'un différend territorial entre deux Etats reconnus plutôt que comme une lutte de libération d'une population asservie. Résultat : les négociations ont lieu avec l'Arménie voisine ce qui est inapproprié et inefficace. D'ailleurs, depuis 18 ans, ces négociations ne donnent rien, en partie parce que nous ne sommes pas impliqués, en partie parce que les négociateurs azéris, une fois rentrés à Bakou, refusent en bloc toutes les bases de négociation qu'ils peuvent éventuellement accepter lors des rencontres. Ainsi, en juin 2011, une énième rencontre a eu lieu à Kazan (Russie) entre les présidents russe, arménien et azerbaïdjanais. Alors que tout le monde s'attendait à une validation des principes arrêtés à Madrid en 2007, Ilham Aliev lui-même a sabordé l'accord-cadre avec des demandes de dernière minute.

La communauté internationale sait bien qu'il n'y a pas de volonté de paix de la part des leaders azéris mais évite de le pointer. On remplace une objectivité sur les faits par une impartialité dans les discours. C'est la même chose avec les tireurs d'élite embusqués sur la ligne de front : Nos concitoyens - les agriculteurs par exemple - travaillent la peur au ventre en raison des dizaines de meurtres annuellement dus aux snipers azéris. Mais, sous prétexte d'impartialité, les puissances condamnent indistinctement les « violations du cessez-le-feu » sans jamais nommer l'agresseur.

Mais alors qu'attendez-vous de la communauté internationale ?

Priorité à la paix, à la sécurité et à la démocratie. Les peuples - tous les peuples - ont besoins de paix, de sécurité et de démocratie. C'est vrai au Karabagh et en Azerbaïdjan comme en Syrie et en Lybie. On ne peut pas dénoncer Ben Ali et soutenir Ben Aliev (sourires). Les Karabaghiotes veulent vivre en paix, dans un pays sûr et où leur existence et leur choix sont pris en compte ce qui ne peut être garanti par l'Azerbaïdjan, un Etat qui n'est non seulement pas démocratique mais qui se distingue en plus par des politiques de discrimination ethnique.

Nous sommes convaincus que la communauté internationale seraient plus crédible et plus écoutée si, d'une part elle ne transigeait pas sur ses propres principes et si, d'autre part, elle ne pratiquait pas un double discours. Je prends un exemple : nous avons bâti un Etat de droit caractérisé par des élections présidentielles, législatives et municipales. Or, non seulement la communauté internationale ne reconnaît pas ces instances mais elles condamnent les élections associées pour complaire à l'Etat pétrolifère voisin. Ce faisant, elle bafoue ses principes généraux - ceux de la Charte des Nations unies - mais aussi les mécanismes qu'elle a elle-même mis en place pour la résolution du conflit ; puisque en créant le Groupe de Minsk en 1992, le Conseil d'Helsinki stipulait que ce groupe rassemblerait onze États (l'Arménie, l'Azerbaïdjan, la Russie, la Turquie, la Tchécoslovaquie, l'Allemagne, la Suède, la Biélorussie, la France, l'Italie et les Etats-Unis) mais aussi « des représentants élus, ou autres, du Haut-Karabagh ». Est-ce à dire que la communauté internationale préfère des représentants non élus ou élus à l'issue d'un simulacre d'élection comme en Azerbaïdjan ? (rires) !

Un dernier exemple : la Commission européenne octroie des fonds destinés à la reconstruction et au développement de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud, deux régions indépendantistes de la Géorgie mais pas au Haut-Karabagh. Veut-on nous faire croire que la Commission européenne saurait résister à la Russie qui soutient ces Etats et non pas à l'Azerbaïdjan ? Je ne le crois pas et je ferais mienne la position du Conseil Européen pour les Relations Extérieures selon lequel il est temps de mettre un terme à l'idée infondée que nous n'aurions pas de levier sur l'Azerbaïdjan.

Comment voyez-vous l'avenir ?

Je suis malgré tout confiant parce que nous avons désormais une génération entière de jeune gens qui ont grandi dans un Etat où ils sont pleinement citoyens et parce qu'en dépit des menaces de représailles de l'Azerbaïdjan, un nombre croissant de responsables internationaux font le voyage du Karabagh. Des partenariats se créent et donnent naissance à des projets de développement sociaux et économiques. Et puis, en Azerbaïdjan même, ça n'intéresse pas les jeunes de mourir pour le lointain Karabagh. Une fois la propagande du système Aliev dénoncée, et l'Eurovision y a en partie contribué, je suis certains que nous trouverons les voies du dialogue et de la réconciliation avec les Azéris.

Le 27 juin 2012

Le Huffington Post