Par Mihran Amtablian, ancien rédacteur en chef de France-Arménie.
"Ce que nous souhaitons tous de manière extrêmement claire, c'est que, à la guerre confessionnelle qui existe en Syrie, qui a déjà fait plus de 30.000 morts, qui est donc une catastrophe, ne s'ajoute pas en plus un conflit entre la Syrie et ses voisins, singulièrement la Turquie".
SYRIE - Ce sont là les paroles que Monsieur Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, a prononcées lors de sa conférence de presse du 15 octobre à l'issue du conseil des ministres de l'Union Européenne.
On peut s'étonner que le conflit syrien soit réduit par notre ministre à sa simple dimension confessionnelle qui, cependant, existe bel et bien. Car enfin, comme pour le colonel Kadhafi, il a été décidé de se débarrasser de Monsieur Bachar Al-Assad pour des raisons politiques.
Par qui? A minima par les "puissances" locales de l'islam sunnite militant que sont le Qatar (encore lui) et l'Arabie Saoudite wahhabite. Elles ont vu dans la vague de contestation partie de Tunisie, une bonne occasion de se débarrasser tout à la fois d'un régime laïc, celui du parti Baas syrien, et d'un pouvoir totalitaire aux mains d'une branche concurrente de l'islam: le chiisme particulier des Alaouites.
L'occasion était également bonne pour l'Occident qui voyait là une possibilité majeure d'affaiblir l'influence de l'Iran dans le cadre de la politique que l'on sait à l'égard de ce pays. Dès lors, on peut raisonnablement se poser la question de savoir où la décision inavouée de se débarrasser de Bachar Al-Assad a été prise: à Washington, au siège de l'Otan à Bruxelles, à Jérusalem, à Ankara, à Ryad ou à Doha?
Localement confessionnelle, internationalement politique.
Peu importe, dès lors que les intérêts objectifs de tous convergent d'une manière si forte. Le constat est que c'est la curée politique. Justifiée, du moins côté occidental, au nom de la libération d'un régime incontestablement totalitaire et au nom de considérations humanitaires.
Il est vrai aussi que la répression sanglante (c'est un euphémisme) de Bachar Al-Assad rend légitime le changement de régime. Au vu de ce qui s'est fait en Tunisie, en Libye et en Egypte, cela ne saurait dispenser de s'interroger sur les faits en cours et sur l'après changement.
Il semble bien que Monsieur Laurent Fabius, qui est mieux renseigné que nous, ait aussi quelques doutes quant "aux forces du futur" qui, aujourd'hui, ne font pas de prisonniers... comme les militaires du régime. C'est ainsi que dans la même conférence de presse, il affirme:
"...notre ligne directrice est: "cessez les massacres"; c'est la toute première priorité. Il est extrêmement important que les différentes communautés, la communauté chrétienne, la communauté alaouite et les autres communautés, voient leurs droits respectés. C'est comme cela que l'on doit parler de la Syrie du futur".
On veut l'espérer très fort.
Il ne semble pas que ce soit là la conception des turkmènes qui entourent la ville de Kessab.
Jusqu'à un passé récent Kessab était un village exclusivement chrétien habités par des Arméniens. Rescapés du génocide des Arméniens de Turquie, ils s'étaient établis en deçà de la frontière turque lorsque la Syrie était en 1920 sous mandat français.
Comme tous les chrétiens du pays, ils ont prospéré sous ce mandat, puis en bénéficiant du caractère laïc de l'Etat syrien qui a contenu la poussée islamiste au grand dam des wahhabites de Ryad et de Doha. Ce qui explique les doutes des chrétiens, sinon leur opposition, à la "révolution" en cours. Depuis bientôt une vingtaine d'années, Kessab a vu l'implantation d'une population arabe musulmane plutôt aisée cherchant à bénéficier des avantages du site: fraîcheur de la montagne et proximité de la mer.
Dans son reportage publié le 16 octobre, Lewis Roth, l'envoyé spécial du Monde dans le djebel turkmène, rapporte un message inquiétant de Kessab. Nous apprenons que la région frontalière de la Turquie est maintenant tenue par la rébellion qui s'appèterait à attaquer Kessab encore sous contrôle de l'armée de Bachar Al-Assad.
Lewis Roth rapporte les propos du combattant turkmène Abou Moustapha:
"Si on le prend, on aura accès à la mer et on disposera d'un passage officiel avec la Turquie. On pourra faire venir des armes. Je préviens nos frères arméniens à Kassab: qu'ils partent avant l'offensive de l'Armée libre, sinon ils vont avoir des pertes civiles et encore se plaindre d'un génocide perpétré par des Turcs".
26 octobre 2012