MM. Sosnowski et Delruelle en appellent au monde politique.

L’antisémitisme connaît de nouveau une forte poussée en Belgique. Récemment, deux incidents impliquant le monde politique ont cristallisé les craintes : Jamal Ikazban, député PS bruxellois a traité le spécialiste de l’analyse du terrorisme, Claude Moniquet d’"ordure sioniste" dans un "tweet" alors que Présence et Action culturelles, le "bras culturel" du monde socialiste, illustrait l’annonce d’une conférence sur le sionisme à Molenbeek par une caricature "digne" des années trente due au dessinateur Zéon qui est un ami de l’humoriste [?] Dieudonné Est-il moins cinq ? Le codirecteur du Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme, Edouard Delruelle, et le président du Comité de coordination des organisations juives de Belgique, Maurice Sosnowski, le pensent et le disent ensemble avec force à "La Libre".

 

Pourquoi cette sortie commune qui transcende vos nuances ?

E.D. : C’est un souci particulièrement partagé Nous sommes tous deux inquiets face à ces faits récents et à d’autres non médiatisés. C’est aussi l’occasion de préciser que le Centre pour l’égalité a, ce mercredi, en conseil d’administration, entrepris les premiers pas vers une constitution de partie civile contre Dieudonné. Il faut absolument qu’il s’explique lors d’un procès : ses propos ne peuvent pas être considérés comme de l’humour; ils sont inacceptables. Enfin, si on attend toujours une réaction forte du président du PS sur ces incidents graves, il est aussi temps de dire aux deux principaux partis francophones, le PS et le MR qu’ils doivent très vite faire cesser certains discours qui n’incitent qu’à la haine dans la perspective des élections de 2014

M.S. : Je tiens également à exprimer un ras-le-bol certain. Comme président du CCOJB, j’ai fait depuis mon entrée en fonction, preuve de retenue et de modération mais les récentes affaires sont les gouttes qui ont fait déborder le vase. Leur gravité plaide pour qu’on sorte de l’attentisme actuel. Nous avons plaidé pour la tolérance par l’éducation et la culture et en rappelant notre socle sociétal commun mais il est indécent que Jamal Ikazban puisse insulter Claude Moniquet sans que cela donne lieu à la moindre réaction. Il y a aussi de plus en plus un lien direct entre l’antisémitisme et l’antisionisme, le premier passant sous le couvert du second. Nous croyons qu’il faut intervenir. Très vite !

Pouvez-vous préciser cette recrudescence de l’antisémitisme ?

E.D. : Les chiffres sont inquiétants : de 57 signalements en 2010, on est passé à 62 en 2011 et à 88 l’an dernier. Et encore, il s’agit clairement d’un sous-rapportage, de la face visible de l’iceberg car beaucoup d’agressions ne sont pas répertoriées par crainte de représailles

M.S. : Et puis, beaucoup de personnes ne déposent pas plainte tout simplement parce que ça ne sert à rien !

Il faut aussi les situer par rapport à la place de la communauté juive dans la société belge…

E.D. : C’est une toute petite communauté qui représente 0,4 % de la population; le nombre de cas est dès lors plus important qu’on le pense par rapport à sa taille. Du reste si on la compare à la France, la Belgique connaît au moins une poussée aussi grave. C’est particulièrement vrai pour les propos négationnistes. Mais il y a également encore et toujours l’antisémitisme séculaire dont cette détestable caricature atteste s’il le fallait vraiment. Il y a aussi, en même temps, de plus en plus d’amalgames et de confusions nées des polémiques autour du conflit israélo-palestinien. Il faut absolument clarifier tout cela en donnant les moyens à l’enseignement ainsi qu’à la justice et, au risque de nous répéter, par une prise de position tout aussi nette des décideurs politiques. Ces derniers doivent cesser de surfer sur cette vague. Je soulignerai que tous les Arabo-musulmans belges ne sont pas antisémites; toute une jeune génération veut un islam belge et joue à fond le jeu démocratique.

M.S. : Il reste que les chiffres sont là : après le drame de Toulouse, on a cru en France que cela allait changer mais Merah a encore fait des émules et on est reparti à la hausse comme en 2009. Le problème vient de certaines mosquées infiltrées par des fondamentalistes alors que les musulmans modérés sont devenus inconséquents et ne bougent plus. C’est un peu comme les Allemands qui par leur silence et leur manque de réaction ont fini dans l’entre-deux-guerres par installer les nazis au pouvoir. Y compris dans le chef des politiques démocrates de l’époque.

Vous iriez jusqu’à faire un lien avec la période contemporaine ?

M.S. : J’ai vraiment peur de la proximité des élections Des politiques vont être lâches pour engranger le vote de certaines communautés. Mais à côté de l’expression de cette démagogie, il y a aussi une recrudescence de la judéophobie par rapport à notre histoire. La communauté juive est si petite que beaucoup de nos concitoyens non juifs ne connaissent pas notre histoire. Vous savez pourquoi les Chinois et les Japonais sont si antisémites ? Précisément parce qu’il n’y a pas de Juifs chez eux

Concrètement des actions sont en voie d’être lancées pour les deux agressions précitées ?

E.D. : On va mettre toute notre expertise juridique à disposition des intéressés. La question est de savoir dans quelle mesure il s’agit d’une insulte raciale mais sur le plan moral, il n’y a pas de doute; c’est évidemment scandaleux et condamnable. En même temps, le Centre doit redoubler d’attention face à toutes les formes de rejet et ne pas hésiter à s’en prendre à toutes les dérives comme celles de "La France, orange mécanique" le livre de Laurent Obertone où il y a un amalgame scandaleux entre la délinquance et l’immigration. Les partis ne doivent surtout pas laisser libre cours à ceux qui voudraient profiter de la situation. En fait, il siérait de retrouver le relatif consensus qui régnait à ce sujet au début des gouvernements Verhofstadt où Laurette Onkelinx et Louis Michel se retrouvaient sur une même ligne contre l’intolérance. En attendant, il est vraiment urgent que la direction du PS sorte de son mutisme pour Ikazban et fasse passer un message fort. Des excuses molles ne suffisent pas

On a aussi critiqué le Centre pour l’égalité des chances…

E.D. : Il n’y a aucune différence de traitement. Nous abordons tous les dossiers de manière égale avec leurs spécificités. C’est vrai que nous ne déposons pas systématiquement plainte mais on n’est pas toujours certain de gagner. Un échec ne ferait que trop la joie de nos adversaires. Nous ne procédons pas par pas et ça porte des fruits. S’il y a une jurisprudence sur les saluts hitlériens c’est grâce à nous. Cela dit, nous comprenons que le CCOJB ait des paroles très fortes. Nous sommes complémentaires; le Centre n’est pas pusillanime Et puis c’est unis que nous réclamons une prise de position énergique des grands partis. Leurs présidents de partis se voient pendant des heures sur l’institutionnel; ne peuvent-ils vraiment pas trouver un peu de temps pour provoquer ensemble un sursaut moral ? L’inertie actuelle terminera par des drames. Car si certains voient miroiter de jolis scores électoraux, la crise s’approfondit et le fossé se creuse dangereusement entre les communautés.

M.S. : Le multiculturalisme belge est un échec. Comme citoyen belge d’origine juive je réclame le droit à l’indifférence. Assez de paroles, des actes Puissent-ils méditer la parole d’Einstein : "Le monde est dangereux à vivre ! Non pas tant à cause de ceux qui font le mal, mais à cause de ceux qui regardent et laissent faire."

Christian Laporte

23/03/2013

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