L'écrivain publie une fiction qui respecte la vérité historique sur l'extermination, en 1915, de plus d'un million d'Arméniens.

 Pourquoi Gilbert Sinoué, qui n'est pas arménien, a-t-il décidé d'écrire sur le génocide de 1915 ? L'écrivain, né au Caire en 1947, dont le talent de conteur s'est déjà exprimé dans de nombreux romans historiques, s'est toujours senti proche du peuple arménien. «Je suis issu d'une famille grecque catholique d'Égypte, pays où j'ai grandi, et mes meilleurs amis appartenaient à la vaste communauté arménienne du Caire», explique le romancier rencontré dans son appartement de Neuilly-sur-Seine. Des témoignages de rescapés des massacres, Gilbert Sinoué en a entendu toute de sa jeunesse. «J'ai dû laisser mûrir en moi ce sujet difficile. Et puis j'ai attendu la quarantaine avant de devenir écrivain», résume celui qui fut notamment professeur de guitare classique et parolier pour Claude François, Dalida ou encore Sheila.

L'auteur, qui a désormais atteint l'âge de la maturité, propose un roman destiné au grand public. «Je me suis aperçu que les ouvrages parus jusqu'ici sur ce drame étaient avant tout des textes universitaires. Or, je reste convaincu que si on veut sensibiliser les gens à un thème grave, le roman est le meilleur vecteur. Grâce à lui, on touche l'âme, le cœur. Mon but est de sensibiliser le plus grand nombre de lecteurs au génocide arménien.»

Reste que l'émotion, présente à chaque page dans Erevan, n'exclut pas le respect de la vérité historique. «J'ai écrit un livre qui ne triche pas avec l'histoire.» Un mélange de fiction et de document efficace. «C'est le résultat d'une gymnastique très compliquée. Il faut éviter que la documentation dévore le roman et que le roman gomme la réalité historique. C'est un travail de funambule.»

Un défi parfaitement relevé par l'auteur. Le texte débute dès 1896, dans un empire ottoman dirigé par le bien réel et très sanglant sultan Abdülhamid, qui vient de commettre une répression sanglante contre les Arméniens. Apparaît alors un personnage de fiction, Hovanès Tomassian. Avec Armen Garo, un homme ayant existé, dont le vrai nom est Karékine Pastermadjian, il participe à la prise d'otages historique de la Banque impériale ottomane. Une action menée afin d'attirer l'attention du monde sur le sort des Arméniens.

Un sacré tour de force

Puis on retrouve Hovanès Tomassian en 1915, revenu d'exil forcé, alors que l'Empire ottoman est désormais dirigé, depuis le putsch de juillet 1908 qui renversa le sanguinaire «Sultan rouge», par le parti des Jeunes Turcs. Ce nouveau pouvoir fut soutenu par les Arméniens qui comptent quelques députés au Parlement. Comment imaginer qu'un génocide se prépare ?

Le lecteur suit la vie de la famille Tomassian, avec Hovanès bien sûr, devenu député, mais aussi son père, son frère, sa belle-sœur et leurs deux enfants adolescents. Une famille qui vivait en harmonie avec la population turque, avant d'être décimée… Prenant le prétexte de la Première Guerre mondiale, les autorités ottomanes vont considérer les Arméniens comme des traîtres potentiels. Elles décident alors ouvertement de les déporter vers les déserts de Syrie et d'Irak. Ce qu'elles n'avouèrent pas, bien sûr, ce fut l'extermination d'environ 1,2 million de personnes (hommes, femmes et enfants) d'avril 1915 jusqu'à la fin de la guerre et la chute de l'Empire… L'auteur décrit les scènes de massacres en restant pudique et digne. Un sacré tour de force.

Et signe un roman résolument engagé. La préface, signée Charles Aznavour, est un cri de douleur. En ligne de mire apparaît l'espoir que le gouvernement turc actuel reconnaisse l'existence de ce génocide.

Erevan de Gilbert Sinoué, Éditions Flammarion, 350 p., 21 €.

Le Figaro.fr