Entre 200 à 300 personnes étaient présentes ce vendredi (24/04/09) vers midi devant le monument au génocide arménien situé dans la commune bruxelloise d’Ixelles (place Henri Michaux, à côté du parc Tenbosch) pour commémorer l’événement avec un symbole marquant : la photo de Hrant Dink, ce journaliste et écrivain turc d’origine arménienne assassiné pour ses opinions le 19 janvier 2007 à Istanbul.
Parmi les élus présents à cette commémoration, il y avait Armand De Decker, Viviane Teiltelbaum, Yves de Jonghe et Françoise Schepmans pour le MR (Mouvement réformateur, parti libéral de droite), Isabelle Durant et Christos Doulkeridis pour Ecolo (parti environnementaliste de gauche), Georges Dallemagne du CDH (Centre Démocrate Humaniste, parti centriste) et aucun élu socialiste.“J’étais ce matin au mémorial juif à Anderlecht, j’étais également présente il y a 3 semaines à la soirée de commémoration du génocide rwandais organisée par l’association Ibuka et je suis logiquement aujourd’hui le 24 avril devant le monument au génocide arménien à Ixelles. Le génocide arménien est un fait historique que personne ne peut nier“, explique Isabelle Durant, co-présidente d’Ecolo et candidate tête de liste à l’Europe dans le cadre des élections du 7 juin 2009.Interpellée sur l’absence totale des représentants du PS à cette commémoration, Isabelle Durant estime que “c’est dommage que le PS ne soit pas représenté mais chacun fait son choix et devra les assumer. C’est vrai qu’il y a un membre PS du gouvernement bruxellois [Emir Kir] qui continue de nier le génocide arménien, je le déplore et le condamne mais je peux vous assurer qu’Ecolo ne se tait et ne se taira pas sur ce sujet. Nous avons un discours complexe à l’égard de la Turquie. Je pense qu’on n’a pas de leçons à donner aux Turcs et la politique européenne de la main tendue vers Ankara est une façon de faire bouger les choses pour ceux qui veulent vraiment un changement. Mais cela ne doit pas nous empêcher de briser le silence et de faire notre travail de mémoire. Garder le silence à l’égard du génocide arménien équivaudrait à soutenir les négationnistes qui estiment justement que ces faits n’ont jamais existé“, ajoute la co-présidente des verts francophones belges.Absent ce vendredi devant le monument commémorant le génocide arménien, le secrétaire d’Etat aux Monuments et Sites de la Région bruxelloise, Emir Kir (PS), annonce en langue turque sur le site Binfikir “un festival des monuments historiques“, organisé sous l’égide de la région bruxelloise, (entrée gratuite) qui aura lieu ce dimanche (26/04/09) de 10 à 18h00 sur le site de Tour & Taxis.Malgré une volonté chez Ecolo de vouloir se profiler comme un parti proche des populations étrangères et d’origine étrangère, ce parti ne présente curieusement aucun candidat d’origine turque sur ses listes électorales bruxelloises (la candidate bruxelloise Nuray Dogru est issue de la minorité arabophone de Turquie) : “C’est vrai, je le reconnais, mais on n’a pas voulu, comme les autres partis, absolument avoir son ‘Turc’ sur la liste pour faire du racolage. J’aime bien la communauté turque mais je trouve que c’est une communauté qui vit… pas de manière renfermée sur elle-même mais… autour d’elle-même. On a souvent l’impression d’être totalement exclu si on ne parle pas le turc dans cette communauté. Par ailleurs, nous avons déjà eu des candidats d’origine turque sur nos listes [Yakup Yurt qui est aujourd'hui candidat pour ProBruxsel, Nurnissa Balci inactive politiquement depuis son déménagement vers Schaerbeek et Süleyman Özdemir inactif pour le moment] mais ces personnes respectables ont décidé de ne plus s’investir dans le parti pour différentes raisons, cela n’a évidemment rien à voir avec leurs origines. C’est vrai qu’aujourd’hui une liste Ecolo sans un candidat d’origine turque, ça fait tâche, c’est un manque. Tout le monde est le bienvenu chez Ecolo mais c’est un parti qui a des exigences. Il faut adhérer au projet écologiste et aux valeurs que nous défendons et le sujet dont nous parlons ici [le génocide arménien] fait partie de ces valeurs. Je ne dis pas qu’il faut coller une étiquette sur les candidats pour dire ‘pas négationniste’ mais en tant qu’adhérant il faut au moins admettre l’idée qu’on puisse faire des pas et parler des questions douloureuses. J’ai été contactée par des patrons de café turc qui me disaient : ‘on va t’apporter plein de voix si tu me donnes telle place’. J’ai refusé, ce n’est pas comme cela que ça marche chez Ecolo. Si on refuse d’accepter notre projet, il n’y a pas moyen de venir chez nous“, précise Isabelle Durant.Joël Rubinfeld, Président du CCOJB (Comité de Coordination des Organisations Juives de Belgique), explique l’absence des élus socialistes à la commémoration annuelle du génocide arménien par “la proximité des élections. Si demain, il y avait 300.000 électeurs arméniens en Belgique, je suis persuadé que le PS sera présent en nombre à cette commémoration. L’absence des socialistes à cette journée de commémoration du génocide arménien est d’autant plus inexplicable par le fait que la reconnaissance du génocide arménien est une initiative du sénateur socialiste Philippe Mahoux. Le revirement s’explique probablement avec l’évolution démographique à Bruxelles où les voix turcs sont convoités mais il est justement temps de se ressaisir. Je sais que tout le PS ne pense pas comme ce qu’indique actuellement la ligne du parti, c’est le moment pour que les voix internes au PS se fassent entendre car en voulant courir derrière un certain électorat, le parti perd ses propres bases progressistes. Dans la commune d’Anderlecht, par exemple, Isabelle Emmery (PS) a organisé une commémoration pour les juifs d’Anderlecht, elle ne le fait pas pour les voix juives mais pour défendre des valeurs et une mémoire“.Interrogé sur les raisons de sa présence devant le monument, Joël Rubinfeld répond qu’il fait “partie de la communauté des hommes et c’est d’abord à ce titre que ma présence est tout à fait naturelle. Par ailleurs, en tant que représentant de la communauté juive de Belgique, je suis tout à fait solidaire avec mes frères arméniens et tutsis face à l’injustice. Nous sommes avec eux comme ils sont à nos côtés lors de nos commémorations“.
Egalement présent sur les lieux, Radouane Bouhlal (Président du Mouvement contre le Racisme, l’Antisémitisme et la Xénophobie - MRAX) rappelle qu’”il ne s’agit pas d’une manifestation pour demander la pénalisation de la négation du génocide arménien mais de la simple commémoration du génocide arménien” et s’interroge, lui aussi, sur l’absence des socialistes lors de cet événement annuel : “Si demain une grande communauté d’Allemands négationnistes décide de s’installer dans notre pays et vote pour le PS. Les militants socialistes vont-ils alors également boycotter les commémorations autour du génocide des juifs en Belgique ? J’invite simplement les élus PS à relire la résolution de 1998 votée au Sénat sur proposition du sénateur socialiste Philippe Mahoux. Peut-être qu’en relisant ce texte de reconnaissance, ils pourront adopter de manière beaucoup plus sereine la problématique du négationnisme à l’égard du génocide des Arméniens. Au MRAX, nous combattons toutes les formes de racisme, y compris celles qui se trouvent dans le champ symbolique. La question de la mémoire au MRAX est d’une pleine importance surtout depuis que je suis à la tête de cette institution. Hier, j’étais à Louvain-La-Neuve pour commémorer le génocide des Tutsis, demain je serai à nouveau avec les Juifs et aujourd’hui je suis avec les Arméniens.“
Mehemet Koksal