Le Conseil d'Etat a tranché. Il a interdit, le 9 janvier, le spectacle que Dieudonné devait donner dans la soirée à Nantes. Il a ainsi approuvé le ministre de l'intérieur, Manuel Valls, qui avait dénoncé les propos racistes et antisémites de l'« humoriste » et décidé d'utiliser toutes les voies juridiques pour interdire ses prestations et « casser cette dynamique de haine ».

La décision de la plus haute juridiction administrative du pays est exceptionnelle à plusieurs égards.

D'abord par son extrême célérité. Le 9 janvier en début d'après-midi, le tribunal administratif de Nantes avait autorisé ce spectacle, jugeant que son interdiction constituerait « une atteinte grave à la liberté d'expression » et serait donc « illégale ». Immédiatement saisi, en appel, par le ministre de l'intérieur, le Conseil d'Etat a rendu sa décision en quelques heures. Un record !

S'agit-il pour autant d'une décision improvisée dans l'urgence ? A l'évidence, non. Préparé à cette éventualité, le Conseil a étayé sa décision d'autant plus soigneusement qu'elle rompt avec sa jurisprudence antérieure, qui rendait quasiment impossible l'interdiction préventive d'un spectacle. Une censure préalable, en quelque sorte.

Il invoque plusieurs motifs pour justifier ce revirement. Tout d'abord, « les risques sérieux de trouble à l'ordre public ». Mais, sachant que l'argument reste fragile tant ce risque est difficile à établir a priori, le Conseil invoque « de graves atteintes au respect des valeurs et principes consacrés par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et par la tradition républicaine ».

« JURISPRUDENCE »

Le spectacle de Dieudonné contient, de façon constante, des propos antisémites, incite à la haine raciale et fait « l'apologie des discriminations, persécutions et exterminations perpétrées au cours de la seconde guerre mondiale ». Il porte donc atteinte à « la dignité de la personne humaine » et est de nature à mettre en cause la « cohésion nationale ».

Enfin, le Conseil insiste sur le fait que sa décision porte spécifiquement sur le spectacle de Dieudonné, notamment parce que ce dernier a déjà été condamné à sept reprises de façon définitive pour des propos de même nature et n'apparaît pas comme un justiciable de bonne foi.

Pour fondée qu'elle soit, cette « jurisprudence Dieudonné » est exceptionnelle. Elle doit le rester. Le Conseil d'Etat lui-même rappelle en préambule de sa décision combien la liberté d'expression est une condition fondamentale et une garantie de la démocratie. Et combien les limites qui peuvent y être posées doivent être « nécessaires, adaptées et proportionnées ».

Chacun doit mesurer – et l'Histoire nous le rappelle, en France comme ailleurs – que l'état d'exception est toujours une menace pour l'Etat de droit. Le contrôle préventif d'une liberté par une autorité politique, administrative ou policière conduit, le plus souvent, à l'arbitraire.

Admettons, en la circonstance, que le Conseil d'Etat a peut-être mis un coup d'arrêt à l'entreprise inacceptable de Dieudonné. Mais, pour combattre durablement le racisme et défendre les libertés, rien ne saurait remplacer l'exercice de la justice pénale et de ses garanties. Les provocations systématiques de M. M'bala M'bala ne sont pas des opinions, mais des délits, punis par la loi. Elles doivent être poursuivies sans relâche, et les peines auxquelles elles conduisent appliquées sans fléchir.

11 janvier 2014

Le Monde