Une cérémonie de commémoration de l’assassinat de Hrant Dink a eu lieu le dimanche 19 janvier 2014 à Bruxelles, devant le monument dédié au génocide des Arméniens. Lors de cette cérémonie animée par des chants arméniens, les représentants de l’Association des Arméniens démocrates de Belgique, Haçik Demirci et Bogos Yalim, ainsi que le rédacteur en chef d’Info-Türk Dogan Özgüden et le président de Kongra-Gel Remzi Kartal ont pris la parole.
Intervention de Dogan Özgüden :
Hrant, mon frère,
Mon confrère,
Tu nous manques depuis sept ans.
Tu nous as quittés il y a sept ans comme une colombe de la paix abattue en plein vol vers la liberté et la fraternité de toute l’humanité, plus particulièrement de tous les peuples de l’Anatolie et de la Mésopotamie.
Ce maudit 19 janvier, nous avons perdu non seulement un défenseur exceptionnel des droits de l’Homme et des peuples, mais aussi un grand journaliste qui court toujours derrière la vérité et la justice.
Oui, déjà sept ans sont écoulés.
Hélas ! Il n’y a toujours pas de justice suite à l’assassinat lâche dont tu as été victime dans la ville d’Istanbul, une des plus belles villes du monde, ville que tu aimais profondément avec son histoire, ses habitants de toutes origines et ses richesses culturelles. Mais notre belle Istanbul n’est-t-elle pas cette ville où, il y a 99 ans, a été déclenché le premier génocide du 20e siècle par les forces racistes contre ton peuple... Un génocide qui a visé plus tard non seulement le peuple arménien, mais également les peuples assyriens et grecs.
Après sept ans de sales manœuvres juridico-politico-administratives, il y a quelques mois, un nouveau procès s’est ouvert à Istanbul à juger les “véritables“ meurtriers.
Toujours pas de justice...
Comme disait l’association des « amis de Hrant Dink », le meurtre a été commis avec l’aide et les instructions d’agents publics (...) mais l’État continue à protéger ces agents publics. Les conspirateurs restent toujours cachés et peuvent même bénéficier de promotions.
L’exemple le plus honteux : le gouverneur d’Istanbul de l’époque, Muammer Güler, a été promu au poste ministériel et le chef de la police Celalettin Cerrah au poste de gouverneur.
Le nom de ce monsieur Celalettin Cerrah est particulièrement important pour nous, exilés anatoliens en Belgique, car le jour de ton assassinat il se trouvait en Belgique comme invité d’honneur d’un secrétaire d’état d’origine turque.
Le gouverneur Muammer Güler a tout récemment été éjecté de son fauteuil ministériel non pour sa responsabilité indéniable dans ton assassinat, mais en raison d’un vaste scandale de corruption.
Notre ami Taner Akçam faisait hier une ironie formidable.
Il y a 99 ans. Un des génocidaires le plus zélés, le gouverneur de Diyarbakir Resit, n’a jamais été sanctionné pour le génocide des Arméniens et Assyriens à Mardin et Diyarbakir, au contraire, il a été promu au poste de gouverneur d’Ankara.
Toutefois, il a été éjecté plus tard de son poste, non pour le meurtre des milliers de citoyens, mais pour corruption... Quelle corruption ? Il avait détourné les objets précieux de ses victimes arméniennes et assyriennes au lieu de les délivrer à la trésorerie ottomane.
Il s’agit d’un système criminel hérité du parti Union et Progrès.
Un système qui s’est incrusté dans nos terres natales. Un système qui se renforce depuis trois décennies sur la synthèse turco-islamique.
Quelles que soient les tractations actuelles pour saisir le pouvoir, le parti de Tayyip Erdogan, la confrérie de Fethullah Gülen, l’Armée, la police et la justice sont tous complices des crimes atroces commis contre les citoyens.
Peut-on passer sous silence le meurtre à la maison d’édition Zirve ?
Le massacre de Roboski ? Ou de Reyhanli ? Ou le meurtre de Sevan Balikçi ? Les victimes de Gezi ?
Et encore des milliers de meurtres de Kurdes non seulement en Turquie, mais aussi en Iraq et même il y a un an en France...
L’an 2014... Le 7e anniversaire de l’assassinat de Hrant.
N’oublions pas que l’an 2014 est également le 100e anniversaire du déclenchement de la première guerre mondiale.
Il y a 100 ans, juste quelques jours avant le commencement de cette guerre, une autre colombe de la paix comme Hrant était tombée martyre en France : Jean Jaurès...
Dans un de ses chansons les plus célèbres, le grand poète-chanteur belge Jacques Brel s’interrogeait :
Pourquoi ont-ils tué Jaurès ?
Ils ont tué Jaurès dans une hystérie guerrière qui a coûté la vie à 9 millions de personnes pour les intérêts de puissances impérialistes.
C’est au cours de cette hystérie sanglante que les peuples arméniens et assyriens d’Anatolie ont perdu plus d’un million de leurs âmes.
Pourquoi ont-ils tué Hrant ?
Pour faire taire la voix de tous ceux qui cherchent la vérité, ceux qui luttent pour la fraternité des peuples arméniens, assyriens, grecs, juifs, kurdes, turcs, ézidis...
Promettons à Hrant que cette voix, ce cri pour la fraternité, pour la justice ne sera jamais étouffé.
Réunissons toutes nos forces pour la reconnaissance du génocide des Arméniens et Assyriens par l’Etat turc l’année prochaine, à son 100e anniversaire.
Le processus de paix, oui...
Mais une paix avec la reconnaissance de toutes les vérités de l’histoire...
Une paix avec demande de pardon par l’Etat turc à tous les Hrant...
20 janvier 2014
Jean Eckian