Auteur du roman populaire "Erevan", Gilbert Sinoué juge les Arméniens trop pudiques.
Le génocide arménien est-il trop méconnu du grand public ?
Oui. Paradoxalement, il est très étrange de constater que cette tragédie est assez mal connue, comme si on avait voulu jeter un voile sur ce drame qui a quand même provoqué la mort de près d’un million de personnes. Ce qui est aussi très curieux est qu’il y a très peu de nations qui reconnaissent le génocide arménien. Pourquoi est-ce mal connu ? Il y a plusieurs explications. 1. A l’époque où cela s’est déroulé, les médias n’avaient pas la puissance qu’ils possèdent aujourd’hui. 2. La Turquie reste un pays extrêmement puissant, qui, aujourd’hui, propose sa candidature à l’Union européenne. 3. Peut-être, les Arméniens sont-ils aussi des gens extrêmement pudiques et qu’ils ont du mal à défendre leur cause. Ce qui leur manque le plus, ce sont de grands films qui alertent le public sur ce génocide.
A la fin du livre, un Arménien se transforme en justicier. N'y a-t-il jamais eu dans la communauté arménienne le projet d'installer une sorte de Centre Simon Wiesenthal, de recherche des bourreaux ?
Il y a eu, en effet, le groupe Nemesis qui, en fait, prédestine le groupe Wiesenthal Ce que beaucoup de gens ignorent, c’est qu’en 1918, à partir de la fin de la Première Guerre mondiale, il y a eu des jugements organisés, près d’une soixantaine de tribunaux militaires ont été institués pour juger et condamner par contumace les responsables de ces massacres. La Turquie a quand même reconnu tacitement qu’il y avait eu un problème. Et comme ces gens avaient fui la Turquie, un groupe s’est constitué, le groupe "Nemesis" qui a été chargé de retrouver les responsables, et ses membres leur ont logé une balle dans la tête.
A la lumière des génocides qui ont suivi, la Shoah, le génocide rwandais, voyez-vous des constantes dans ces tragédies ? Il y a toujours des Justes ?
Oui, des deux côtés. C’est une constante de trouver des hommes qui ne sont pas dans les ténèbres, totalement. Il n’y a jamais dans les deux camps des êtres qui sont à 100 pc des criminels et d’autres qui sont à 100 pc des anges. La constante qui me frappe le plus, c’est la passivité des observateurs. L’Europe, l’Occident n’ont pas bougé au moment du génocide arménien, ou très peu. Pendant la Shoah, vous me direz qu’on ne savait pas; d’aucuns disent que les Américains savaient très bien ce qui se passait. Il y a constamment ce côté : "Mes intérêts sont en jeu et ils sont plus importants que le drame lui-même." C’est cela qui fait très peur.
Comment expliquer cette mort lente, à travers l'exode ?
A croire que les bourreaux ont eu des moments de réserve et qu’ils se sont dit : "Les femmes et les enfants, on ne veut pas les tuer directement; on va les laisser mourir." C’est pour cela, hélas!, que l’on ne retrouve pas leur sépulture. Pour les survivants, c’est quelque chose de terrifiant. On ne fait pas son deuil.
Gilbert Sinoué a écrit "Erevan" (Ed. Flammarion, 21 €), grand roman populaire sur le génocide arménien.
Gérald Papy www.lalibre.be