Le mémorial situé sur la commune de Woluwe-Saint-Pierre rendant hommage aux victimes du « génocide rwandais » n’a pas fini de faire parler de lui. La communauté tutsi pourra-t-elle s’y recueillir paisiblement le 7 avril prochain, date du 20e anniversaire du génocide, rien n’est moins sûr.

La stèle placée en 2004 par le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Louis Michel, devait rendre hommage aux victimes du génocide des Tutsi de 1994*. Mais au lieu d’apaiser la souffrance des victimes, elle ne cesse de susciter la polémique. En cause, le texte inscrit sur la plaque commémorative : « En mémoire des victimes du génocide - Rwanda 1994 ».

Plutôt bref. Mais tellement ambigu, insupportable même quand on connait la thèse du « double génocide » invoquée par certains membres de la communauté hutu.

Au début du mois de mars, Johannes Blum, dont le combat pour la mémoire de la Shoah est bien connu, nous écrivait cette fois pour défendre celle du génocide perpétré contre les Tutsi. « Depuis quelques années, j’essaie d’attirer l’attention des autorités communales de Woluwe-Saint-Pierre, mais aussi d’IBUKA, sur le fait que la commune en question “héberge” un mémorial qui, a mon sens, est négationniste, puisqu’il y est gravé dans la pierre “en mémoire des victimes du génocide” en omettant de préciser que ce sont les Tutsi qui ont été victimes de ce génocide... Je ne comprends pas qu’on tolère une telle situation qui profite à ceux qui parlent d’un double génocide au Rwanda... A ce titre-là, les Allemands auraient pu parler aussi d’un génocide... sans préciser de qui il s’agit ». Les lettres adressées par Johannes Blum sont jusqu’à présent restées sans réponse. « Pas même un accusé de réception, à croire que tout le monde s’en fiche », déclare-t-il.

Le 6 ou le 7 avril, une date qui dit tout

L’échevin des Droits de l’homme, Pascal Lefèvre, en charge des cérémonies d’hommage qui se déroulent sur la commune, a pourtant fait de ce même combat une de ses priorités, et ce depuis plusieurs années, « appuyé par les autorités rwandaises et les associations de la mémoire », assure-t-il. En 2011, conseiller Ecolo dans l’opposition, il interpellait à ce sujet le bourgmestre Willem Draps, sans succès. Le bourgmestre MR qui avait décidé de prendre un arrêté de police pour empêcher toute commémoration à proximité du monument. « La commune et moi-même dans mes arrêtés de police tenons à utiliser désormais la formule « génocide rwandais » et non plus « génocide des Tutsi ». Par ailleurs, la commune de Woluwe-Saint-Pierre ne tient absolument pas à prendre parti dans des questions qui concernent avant tout un débat entre Rwandais », répondait-il ainsi à un courrier envoyé par le président d’IBUKA.

L’an dernier, au mois d’avril, c’est le MR (désormais dans l’opposition) qui interpellait le bourgmestre CdH Benoit Cerexhe pour avoir autorisé une manifestation de Joseph Matata, le coordinateur du Centre contre l’impunité et l’injustice au Rwanda (CLIIR).

« En réalité, aucune manifestation n’a été autorisée », se souvient Pascal Lefèvre, « mais l’arrêté de police habituel n’a pas été pris et Matata a profité de son absence pour organiser son rassemblement ». Matata est bien connu de la communauté rwandaise. Il choisit, et pas par hasard, la date du 6 avril pour commémorer, affirme-t-il, « toutes les victimes de la crise dans la région des Grands Lacs de 1990 à aujourd’hui, et le président Habyarimana en fait partie ». « Cette seule date du 6 avril suffit à démontrer son négationnisme et à faire interdire ses manifestations », clame Pascal Lefèvre. « Le génocide des Tutsi est toujours commémoré le 7 avril ! ».

Le 21 mars 2014, à quelques semaines du 20e anniversaire, Pascal Lefèvre s’adressait par courrier, en sa qualité d’échevin des Droits de l’homme, au Premier ministre Elio Di Rupo et au ministre des Affaires étrangères Didier Reynders pour demander une fois encore la modification de la plaque du mémorial. « Nous demandons qu’il y soit inscrit : « En mémoire du génocide contre les Tutsi au Rwanda en 1994 », une question de vérité historique », insiste-t-il. « Une modification ou promesse de modification de ce texte constituerait un geste symbolique fort de la part de la Belgique ».

Du côté de la commune de Woluwe, on renvoie au fédéral qui a placé la stèle et est donc le seul à pouvoir la modifier… L’Ambassade du Rwanda qui a relayé la demande de l’échevin auprès du Bourgmestre est pour sa part assurée de l’assistance des services de la Zone de police Montgomery, sans avoir la garantie toutefois que sa cérémonie sera autorisée... « On conserve une ambiguïté », regrette Pascal Lefèvre qui assure d’ores et déjà que si un rassemblement en hommage aux victimes tutsi est organisé devant le mémorial, il y participera, que celui-ci soit autorisé ou interdit par un arrêté de police.

Il y a peu, la commune de Woluwe-Saint-Pierre refusait d’afficher en ses murs l’exposition proposée par la cellule « La haine, je dis NON ! » du CCLJ, consacrée à la mémoire du génocide des Tutsi. Officiellement « pour des raisons de sécurité ». Une nouvelle façon de ne pas se positionner. Ou au contraire, par méconnaissance sans doute, de relancer un débat qui ne devrait plus avoir lieu.

27 mars 2014

Géraldine Kamps

Regards

* Cette stèle située à l’intersection de l’avenue Roger Vandendriessche et de la rue Père Eudore Devroye est l’œuvre de l’artiste belge Tom Frantzen et s’intitule « Sous le même ciel ».